La Ferme générale est l'une des institutions de l'Ancien Régime qui fut le plus vivement critiquée pendant la Révolution.
Les fermiers généraux en payèrent le prix fort sur l'échafaud : 28 d'entre eux furent guillotinés le 19 floréal an II (). La question reste posée de savoir si ce procès visait des individus ou bien l'institution à laquelle ils appartenaient.
Avec la suppression de la Ferme par la loi d'août 1791 une commission composée de six fermiers, assistés de trois adjoints fut chargée de clore les comptes par les décrets des 21 et . Outre la clôture des comptes de la Ferme, elle était chargée de toutes les opérations de liquidations. Il fallait gérer les droits d’entrées qui subsistaient, prendre les mesures pour faire rentrer les arriérés impayés; les difficultés de liquidation furent immenses. Le bail avait été résilié avec effet rétroactif au , extraire des comptes les sommes comptabilisées jusqu'en avril 1791 était déjà chose quasi impossible, de plus la commission ne disposait pas de toutes les pièces. Deux ans après sa mise en place les opérations n'étaient toujours pas terminées. Le , le ministre des finances adresse un long mémoire à la Convention nationale où il expose très clairement le point des travaux, les difficultés rencontrées par les commissaires, les mesures à prendre pour envisager un règlement définitif au début de 1794. Ce mémoire restera sans suite.
À la Convention, des dénonciations violentes à la tribune de Jean-Louis Carra et de Louis Bon de Montaut accusèrent les fermiers généraux de retards volontaires pour dissimuler des bénéfices illicites. De février à juin, les interventions se multiplièrent. Carra, mais aussi André Dupin de Beaumont, qui ne cessait de répéter qu'ils avaient détourné 30 millions dans un seul de leurs comptes, Cambon qui promit une rentrée de 200 millions de livres si on les exécutait. Il fut décidé, sur la proposition de Bon de Montaut, Vadier et de Charles-Nicolas Osselin, d'apposer à titre conservatoire les scellés sur les documents des fermiers et de supprimer la commission chargée de la reddition des comptes. Ce qui eut pour conséquence première d'empêcher la poursuite des travaux de clôture pendant 5 mois.
Cinq anciens employés de la Ferme dont Gaudot, ancien receveur indélicat qui avait été renvoyé de la Ferme pour un détournement de 500 000 livres, se présentèrent à la Convention et offrirent de découvrir les grands abus dont ils affirmaient avoir eu connaissance. Le 27 septembre, l'Assemblée décida que les 5 dénonciateurs, qui sont nommés réviseurs, auraient à constater les abus et les excès des accusés. La Convention leur promet une indemnité proportionnelle aux malversations qu'ils découvriront.
Le même décret décide, dans son article III, que leurs travaux seraient soumis à la vérification des commissaires à la comptabilité et désigne deux de ses membres dont Dupin, pour veiller à la bonne exécution de ces dispositions
Le 24 novembre, Bourdon de l'Oise demande que les fermiers soient arrêtés, « livrés au glaive de loi si leurs comptes n'étaient pas rendus au bout d'un mois » ; les fermiers furent emprisonnés à la prison de Port-Libre . Le 24 décembre, ils furent transférés à l'hôtel des Fermes, transformé en prison et mis en possession des comptes qu'ils remirent au comité des finances en début de l'année suivante. De son côté, Lavoisier rédigeait un mémoire en défense à partir des questions posées par Dupin. Dans cet exercice, Dupin commence à sortir du rôle qui lui a été assigné par le décret du 27 septembre : il était chargé de veiller à la conduite des travaux par les réviseurs, à la qualité de leurs accusations et des réponses des fermiers généraux. Il n'a pas à poser les questions aux prévenus à la place des réviseurs. Dès le stade de l'instruction, il prend place parmi les accusateurs. Pendant les 5 mois de l'instruction, il maintiendra les accusés dans l’ambiguïté sur son rôle exact. Le mémoire en défense des accusés ne sera pas remis à la commission des finances. Le 23 nivôse an II (), Dupin fait prendre un décret préliminaire par lequel la Convention déclarait « qu'il était de son devoir de pas laisser s'altérer le gage national » et ajoute que les biens des fermiers généraux seraient désormais « placés sous la main de la nation [et] administrés par la régie de l'enregistrement comme ceux des émigrés ». Le 28 nivôse suivant, la Convention va encore plus loin en prenant une décision « qui mettait dans les mains de la nation les biens meubles, immeubles et revenus des Fermiers généraux » donc tous les biens des fermiers des baux David, Salzard et Mager. La finalité du procès est désormais claire : il s'agit de mettre la main sur l'ensemble des avoirs des fermiers généraux. À la dissolution de la Ferme en avril 1791, l'État devenait redevable des avoirs des fermiers à la clôture des comptes. Cette dette représentait une somme de plus de 48 millions de livres. Il est évident que les finances publiques des années 1793-1794 ne pouvaient faire face à une telle dépense. Le mémoire en défense ne sera pas remis aux commissaires à la comptabilité, selon les descendants et parents des fermiers exécutés; Dupin leur aurait fait valoir que la publicité de ce mémoire indisposerait contre eux le comité des finances.
C'est encore Dupin qui sera vraisemblablement le rédacteur du mémoire des réviseurs à la commission des finances et dans son rapport à la Convention lors de la séance du 16 floréal an II (), non seulement il valide la totalité de leurs conclusions mais encore il accable les accusés.
Son réquisitoire repose sur 8 chefs d'accusation :
Le 16 floréal, Dupin sort de son rôle d'arbitre prévu par le décret du 27 septembre 1793 et intervient en tant que rapporteur du comité des finances.
Dès l'introduction de son rapport, Dupin biaise le débat : il était prévu dans le décret du 27 septembre que le rapport à la Convention devait être fait par le comité de l'examen des comptes (article 3), le rôle des deux membres désignés par la convention, dont Dupin, était de s'assurer de la qualité du travail des réviseurs.
Il outrepasse ses pouvoirs en se présentant en rapporteur du comité des finances. Après avoir souligné la qualité du travail des réviseurs, sans faire état de la transmission au comité du mémoire en défense rédigé par Lavoisier, il entame une longue diatribe à charge, sans prendre en compte les arguments de la défense.
Ce n'est qu'à la fin de son intervention qu'il fait référence aux arguments de la défense, sur le seul point de l'abandon de créance de 23 millions que les fermiers avaient consentis au profit de l'État, en en faisant rejaillir le mérite sur les réviseurs. « ils ont (comme ils l'annoncent dans leur mémoire) rendu à la Nation une somme de 22 millions 500 000 livres et ont préféré donner, à titre de sacrifice, ce qu'ils eussent été obligés de payer à titre de restitution ». C'est le seul passage de son rapport faisant allusion au mémoire des fermiers. Les arguments développés en réponse aux divers chefs d'accusation, ne serait-ce que pour les réfuter, ne sont jamais évoqués. Les responsabilités individuelles ne sont pas précisées, tout au plus laisse-t-il entendre qu'elles sont partagées, mais sans donner de nom.
Aucun de ces chefs d'accusation n'est susceptible, en admettant qu'ils soient démontrés, de constituer un crime contre l'État. Ce ne pourrait être que des délits de droit commun. Au moment de l'ouverture de leur procès, la compétence du tribunal révolutionnaire est ainsi définie « Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire, qui connoîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tous attentats contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la république, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté, ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l’égalité, et à la souveraineté du peuple, soit que les accusés soient fonctionnaires civils ou militaires, ou simples citoyens ». Néanmoins le décret de mise en accusation est adopté sans discussions.
Quand bien même elle ne sera pas examinée au cours du procès, elle existe. Il s'agit d'un mémoire écrit par Lavoisier vraisemblablement à partir de la fin de 1793 Après avoir souligné la confusion qui a régné après la dissolution de la Ferme et que les accusations portées à leur encontre impliquent une connaissance de l'ensemble de la réglementation concernant la passation des baux et les mécanismes de la comptabilité, Lavoisier pose le procès sur le double terrain de la valeur et de l'exécution des contrats et sur celui du droit de propriété que « la Représentation nationale a toujours regardé ... comme une des bases fondamentales sur lesquelles repose tout l'édifice de l'organisation sociale ; elle a consacré dans toutes les occasions ce principe, que tout ce qui avait été accordé ou établi par une convention revêtue des formes légales ne pouvait devenir la matière d'un juste reproche, d'une restitution quelconque. »
Il convient en outre de souligner que le bail David avait expiré en octobre 1780 ; comme tous les baux, aucune action ne pouvait être intentée au-delà du délai de deux ans après son expiration. La mise en accusation des fermiers du chef de leurs agissements durant le bail David est donc largement contestable. D'autant que l'adjudicataire et ses cautions sont déchargés, 10 ans après l'expiration du bail, de la garde et de la représentation des registres, sauf instance en cours d’instruction.
Chacun des chefs d’inculpation est réfuté sur la base des textes applicables aux divers baux en faisant référence à la loi du contrat fixée par la puissance publique, aux erreurs de raisonnement de l'accusation, à l'impossibilité de pratiquer autrement ou encore s'agissant des infractions supposées à la loi sur le timbre au constat que la loi mettant le timbre en vigueur avait été prise après la dissolution de la Ferme. Ce chef d'accusation ne sera pas repris dans l'acte d'accusation.
Les accusations relatives au tabac trouvent leur origine dans la mesure prise en 1782 d'enlever aux débitants le râpage du tabac qui était devenu une source de fraudes et d'abus que la Ferme avait longtemps tolérés. Pour mettre un terme aux adjonctions de produits divers et d'eau, elle se réserva le râpage. Les débitants, au nombre de 4 700 dans le royaume, nourrirent une cabale contre la Ferme à l'occasion d'une livraison de tabacs détériorés en Dauphiné dans le courant de l'année 1782. Les débitants provoquèrent une émeute ; le parlement dut intervenir et donna raison, à l'issue d'une enquête minutieuse, à la Ferme, mais le mal était fait.
Plusieurs procès intervinrent sur cette question de qualité, à Montpellier, Navarre, Bourgogne Guyenne, que la Ferme gagna.
Par contre, elle perdit le procès auprès du parlement de Rennes. Ce procès devint en effet l'enjeu d'une lutte de pouvoir entre le Parlement et le Conseil du Roi dans laquelle le fond de l'affaire entre la Ferme et les débitants devint secondaire. Le Parlement de Rennes interdit en 1787 le râpage par la Ferme et en confia le monopole aux buralistes dans le ressort de la Bretagne.
Les conditions étaient désormais réunies pour que cette accusation trouve un large écho auprès des usagers et de l'opinion publique.
Trois points sont visés dans l'acte d'accusation :
Ils sont au nombre de 40, la majorité d'entre eux (35) sont jugés entre le 16 et le 23 floréal an II (). Avant cette date, deux fermiers sont jugés et exécutés, mais pour des motifs ne tenant pas à leur qualité de fermier.
Ce n'est qu'avec le procès du 16 que débutent les véritables mises en cause des fermiers généraux à raison de leur appartenance à la Ferme. Le 16 floréal, 31 personnes sont inculpées, le 22 une mise en accusation et trois le 23 du même mois. Après ce qui constitue le réel procès des fermiers et de la Ferme, trois autres condamnations interviendront.
En définitive, 40 fermiers généraux seront inculpés, 3 pour des motifs étrangers à leur condition d'ex fermier, 35 au motif exclusif de leur appartenance à l'institution, et les deux derniers sous plusieurs chefs d'accusation dont celle d'être ex fermier.
Ce nombre est largement en deçà des inculpations possibles. En application du décret du 23 nivôse et pour faciliter le séquestre des biens des fermiers, le 29 nivôse a été publiée la liste des citoyens intéressés dans les baux David, Salzard et Mager. Cette liste, qui comporte 121 noms, n'est toutefois pas exempte d'inexactitudes, elle est censée comporter tous les fermiers et sous-fermiers ayant participé à l'un ou plusieurs des baux en cause, qu'ils soient, au moment de sa publication, morts, émigrés ou vivants.
Le croisement de cette « liste de nivôse » avec les listes publiées dans l'almanach royal des années concernées des fermiers des baux David, Salzard et Mager, aboutit aux constations suivantes :
Il s'agit très majoritairement de fermiers ou sous-fermiers du bail David qui, après la réforme de Necker, ont abandonné la Ferme et sont devenus régisseurs soit de la régie générale des Aides, soit de l'administration des Domaines. Parmi les condamnés, on trouve cependant un régisseur des Aides, Jean François Didelot et deux administrateurs des Domaines, Louis-Marie Le Bas de Courmont et Jérôme Salleure de Grissiens.
Le procès s'ouvre le 19 floréal, les inculpés avaient passé la journée du 17 à la Conciergerie et le 18 un interrogatoire des 31 prévenus avait eu lieu pour répondre aux exigences de la procédure. L'interrogatoire est pratiquement le même pour tous. Il leur est demandé si, comme fermier général, ils ne se sont pas rendus coupables de dilapidation des finances du gouvernement, d'exactions infâmes, de concussions et fraudes envers le peuple. Lavoisier aurait répondu « quand il a connu quelques abus, il les a dénoncés au ministre des finances, notamment relativement au tabac, ce qu'il est en état de prouver par pièces authentiques ».
Ce compte rendu a accrédité l'idée qu'il aurait pu y avoir des malversations dans la fabrication du tabac. Il doit être pris avec circonspection. En premier lieu, il ne s'agit que de propos rapportés, mais surtout, s'agissant de malversations sur le prix ou la fabrication du tabac, elles ne relevaient pas du ministre des finances, mais de la Ferme elle-même. La compagnie n'a jamais hésité à prendre des sanctions à l'égard de ses personnels. Les archives tant nationales que départementales en gardent des traces nombreuses et dans les mémoires que la compagnie a eu à produire à la suite des révocations qu'elle avait prononcées, elle a toujours soutenu qu'elle était libre de choisir ses préposés mais qu'elle était aussi seule juge de la gravité de leurs manquements et des sanctions qu'ils appelaient. On voit mal pourquoi Lavoisier serait sorti de cette jurisprudence constante de la Ferme. Par contre, le mémoire en réponse aux accusations comprenait de très nombreuses pièces justificatives et on peut supposer que c'est à cela que Lavoisier faisait allusion. Il est légitime de penser que la mention « … notamment relativement au tabac, … » est un ajout à la transcription ou à l'impression qui venait conforter le chef d'accusation le plus emblématique du procès.
Le procès devant le tribunal révolutionnaire est présidé par Jean-Baptiste Coffinhal, Étienne Foucault et François Joseph Denizot, juges assesseurs Gilbert Lieudon, adjoint de l'accusateur public et Anne Ducray, commis-greffier. Les prévenus comparaissent libres et sans fers, à leurs côtés trois avocats officieux dont Chauveau-Lagarde, ancien défenseur de Charlotte Corday et de Marie-Antoinette, les accusés, dans leur grande majorité, avaient déclaré ne pas connaitre d'avocat et il leur en fut commis un d'office.
En cours d'audience, un décret de la Convention, pris sur l'intervention de Dupin, mit hors des débats trois adjoints des fermiers généraux qui auraient apporté la preuve qu'ils n'avaient pas participé aux bénéfices des trois baux visés par l'accusation.
Au cours de l'audience, Coffinhal refuse aux prévenus le droit de s'exprimer, leur intime de répondre aux questions par oui ou par non. Lecture fut faite par Fouquier-Tinville de ses réquisitions, dont il sera démontré, lors de son procès, qu'elles avaient été rédigées le 16, avant même que le décret de mise en accusation de la Convention fût collationné et transmis au tribunal.
Le réquisitoire de Fouquier-Tinville est la reprise pure et simple du rapport de Dupin à la Convention, sauf à avoir écarté l'accusation de fraude à la loi du timbre.
La condamnation n'était pas douteuse. Mais comment la justifier pour des faits qui n'étaient que des délits de droit commun, commis avant la Révolution, Il ne peut y avoir attentats contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République avant qu'elle n'existe. On ne peut davantage qualifier les faits de complots tendant à rétablir la royauté, ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l’égalité, et à la souveraineté du peuple. L'accusation ne rentre pas dans le cadre de l'article premier du Décret de la Convention Nationale du 10 mars 1793, relatif à la formation d'un Tribunal Criminel extraordinaire qui s'appliquait au moment de l'ouverture du procès.
C'est Coffinhal qui se chargera de faire entrer les accusations dans le cadre de la loi en orientant les questions posées aux jurés sur des crimes contre le peuple qui n'avaient pas été évoqués, tant par Dupin devant la Convention que par Fouquier-Tinville lors du procès. En bon juriste, cet ancien procureur au Châtelet suppléa aux silences de la loi. « A-t-il existé un complot contre le peuple français tendant à favoriser, par tous les moyens possibles, le succès des ennemis de la France, en exerçant toute espèce d'exactions et de concussions sur le peuple français en mêlant au tabac de l'eau et des ingrédients nuisibles à la santé des citoyens, … et en pillant et volant par tous les moyens possibles le peuple et le Trésor National, pour enlever à la Nation, les sommes immenses et nécessaires à la guerre contre les despotes coalisés contre la République et les fournir à ces derniers ? ». Les jurés acquiescèrent à l’unanimité, la condamnation fut prononcée. Toutefois la déclaration du jury, signée en blanc, ne fut pas jointe au jugement. Sans déclaration du jury, la condamnation n'avait donc pas été légalement prononcée. Ouvert à 11 h, le procès est clos vers 15 h et les fermiers exécutés à partir de 17 h.
Après la chute de Robespierre, la Convention thermidorienne poursuit une répression à l'encontre de ses anciens soutiens. Fouquier-Tinville est arrêté quelques jours après le 9 thermidor, jugé et condamné à mort le 18 floréal an III (), Coffinhal est arrêté, peu de jours après le 9 thermidor, et condamné à mort le 18 thermidor an II (), sur simple vérification de son identité, par le tribunal criminel du département.
Pour prévenir une éventuelle action contre lui, Dupin dépose, le 16 floréal an III (), à la Convention une motion d'ordre sur les manœuvres pratiquées pour perdre les fermiers généraux. Il y minimise son rôle : le procès n'aurait été qu'un plan de finances projeté par Robespierre pour renflouer le Trésor national.
Pour y parvenir, il fallait exciter contre eux l'opinion publique en sorte que la Convention elle-même soit obligée d'obéir à la voix du peuple. Il fallait de surcroît aller vite et juger révolutionnairement et il aurait été contraint d’abréger une instruction déjà très longue.
Il met en exergue les vies des trois adjoints qu'il a arrachées « à ce tribunal de sang », notamment Chicoyneau de la Valette et Doazan. Il prétend avoir été l'objet de calomnies de la part de Vadier; l'accusant d'être soudoyé par les fermiers.
Il minimise la portée de son rapport du 16 floréal de l'année précédente, insiste sur les très rares passages où il faisait état de degrés différents dans la culpabilité des accusés.
Il accable Fouquier-Tinville qui avait déjà été arrêté quelques jours après la chute de Robespierre sur le déroulement du procès qui n'a pas respecté les droits de la défense et souligne qu'ils ont été envoyés à la mort avant même l'impression de son rapport à la convention.
Il souligne les vices de procédure et le fait que le jugement ne comportait pas de déclaration de délibération du jury et qu'il n'a donc pas été donné. Il demande en conséquence la restitution des biens aux ayants droit des accusés.
Par décret du même jour, la Convention décide l'impression du rapport et le renvoi au comité de législation.
Les ayants droit des fermiers déposèrent plainte au comité de législation de la Convention Lesage, député d'Eure-et-Loir, s'en prend violemment à Dupin lors de la séance de la Convention du 22 thermidor suivant, il le traita d' « ancien valet des fermiers généraux qui avait voulu se venger de ses maîtres », l'accusant d'avoir volé les condamnés et notamment d'avoir dérobé à Lépinay un portefeuille contenant 100 000 livres en assignats et 95 louis d'or, il réclame son arrestation et la mise sous scellés de ses biens et de ceux de sa belle-mère à Saint-Cloud, quand bien même il était divorcé depuis 2 ans. Le décret est rendu immédiatement : Dupin est emprisonné, mais il bénéficiera, 2 mois plus tard, de la loi d'amnistie du 4 brumaire an IV (). Ruiné, il aurait sollicité un emploi subalterne dans la Régie des droits réunis , poste qu'il occupa jusqu'en 1814.
Les ayants droit des fermiers obtinrent satisfaction et furent réintégrés dans leurs droits sous la Seconde Restauration.
Quelques jours après le premier procès, deux autres jugements enverront 4 fermiers supplémentaires à la guillotine.
Dès le 20 floréal, Joseph Starot de Saint-Germain, 66 ans, demeurant à Fontainebleau, se présente au tribunal pour demander l'examen et l'apurement de sa conduite. Il est arrêté sur-le-champ et déféré au tribunal révolutionnaire le 22 du même mois. Pour sa défense il se désolidarise de ses collègues fermiers. Il prétend que, de tout temps, il leur avait reproché leur conduite peu scrupuleuse et spécialement le mouillage du tabac. Il précise qu'il n'a été fermier qu'à partir de 1787 et n'a donc pas participé aux faits reprochés sous les baux David et Salzard. Que s'agissant des rémunérations perçues, il ne pouvait à lui seul changer les pratiques de toute une corporation. Enfin, il souligne que si sa conscience lui avait fait le moindre reproche, il ne se serait pas présenté spontanément au tribunal, après les exécutions du 19 floréal, mais aurait fui, au contraire, son domicile de Fontainebleau pour se soustraire aux poursuites.
Sans doute était-il convaincu que cette démarche ne pouvait qu'aboutir positivement. Sa défense fut balayée par l'accusateur public. La condamnation est prononcée en faisant référence aux chefs d'accusation du précédent procès, y compris ceux relatifs au seul bail David auquel l’intéressé n'avait pas participé. Il est exécuté le même jour à la barrière du Trône.
Trois fermiers avaient été arrêtés à la fin de l'année 1793 et oubliés dans les prisons parisiennes. Il s'agit de :
Les trois fermiers sont condamnés sur la bases des motifs habituels. Bien qu'indispensable au processus de fabrication, la mouillade est considérée comme un crime en soi. « Les fermiers généraux sont chargés de tous les crimes possibles, vols, assassinat, empoisonnement du peuple, tous ces forfaits étaient familiers à ces hommes avides qui, pour arriver à l'opulence et entretenir leur faste insolent, mettaient en usage et ne connaissaient rien d'illicite; avec leurs plumes et leurs livres d'administration, on les voyait enfanter mille systèmes tendant à pressurer le peuple ».
Cet extrait du dernier réquisitoire de Fouquier-Tinville montre bien la nature exacte du procès des fermiers. Peu importe que les inculpés aient ou non effectivement participé ou commis les faits qui leur sont reprochés : leur simple qualité de fermier suffit à les condamner. C'est bien la Compagnie qui est visée dans son ensemble, le luxe et l'opulence de ses membres, sans qu'il soit fait de distinction entre les individus qui la composent.
Paul de Kolly, 53 ans, né à Paris, ancien fermier des baux David et Salzard, fut jugé et exécuté le 14 ventôse an I ().
Condamné à mort pour un motif autre que son appartenance à la Ferme, il fut accusé d'avoir participé au complot de la Caisse de commerce de la rue de Bussy aux fins de procurer des fonds aux frères du roi pour servir leurs projets contre-révolutionnaires. Hors le rappel de sa qualité d'ancien fermier, le jugement ne retient aucune charge du chef de ses anciennes fonctions. Jugé le 3 mars, il est exécuté avec les autres inculpés le 4 vers midi. Il est sursis à l'exécution de son épouse, également condamnée à mort, en raison de sa grossesse
Le 29 germinal an II () fut condamné Jean-Joseph de Laborde, financier, porteur d'une demie part en association avec Dollé dans le bail David, non pour son appartenance à la Ferme, mais avec d'autres pour « correspondances et intelligence avec les ennemis de la république, pour leur fournir des secours en hommes et argent et favoriser le succès de leurs armes sur le territoire français ».
Claude François Simonet de Coulmiers, âgé de 42 ans, exécuté le 31 mai 1794, né à Dijon, ex fermier général adjoint de Rougeot dans le bail David, condamné comme complice des délits des fermiers généraux déjà frappés du glaive de la loi et pour sa participation au complot du qui a existé avec le tyran et sa femme. Il était le frère aîné de François Simonet de Coulmiers (1741- 1818)
Jean-Baptiste Magon de La Balue, 81 ans, n'a jamais été fermier des baux David et suivants. Il fut fermier dans le bail Prévost. Arrêté depuis le , il sera jugé et exécuté avec sa femme, sa fille et son petit-fils, âgé de 17 ans, son frère Luc Magon de la Blinaye le 1er thermidor an II (). Le jugement ne fait pas état de sa qualité de fermier mais à celle de banquier. Il est accusé, avec tous les membres de sa famille de s'être déclaré ennemi du peuple en entretenant des intelligences avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la France, d'avoir fourni de l'argent au comte d'Artois et à Condé et d'avoir favorisé la révolte des brigands de Vendée. Il paraît que cette extermination de la famille Magon visait essentiellement à faire rentrer dans les caisses du Trésor leur immense fortune acquise dans le négoce et les activités bancaires et très accessoirement dans la Ferme.
Le 4 thermidor an II () est condamné le dernier fermier général, Jean-Benjamin de La Borde, dans les dernières charrettes avant la chute de Robespierre. Il est condamné avec d'autres sous une accusation très générale dont on peut extraire ce motif : « convaincus de s'être déclarés les ennemis du peuple en participant … aux dilapidations des fermiers généraux… » qui ne peut concerner que lui, seul fermier de « la fournée » du 4 thermidor.
Pour autant, cela ne peut être le motif de sa condamnation; n'aurait-il pas été ex-fermier, qu'en ces derniers jours de la Terreur il n'aurait pas échappé à la mort. Sourd aux conseils de ses amis, il aurait fait hâter son procès et sera condamné cinq jours seulement avant la chute de Robespierre.
Le dernier des fermiers condamné était un musicien, compositeur et historien de la musique, cartographe et grand voyageur. Homme de lettres, on lui doit un livre de pensées et maximes où l'on peut lire « Deux choses manquent ordinairement à la fortune, de l'avoir bien acquise et d'en user sagement », que bon nombre de ses collègues fermiers auraient dû méditer.
Les trois derniers inculpés du premier procès ont été mis hors des débats par le Tribunal révolutionnaire dans sa séance du 19 floréal an II et réintégrés dans la maison d'arrêt. En dehors des soutiens divers qu'ils reçoivent pour leur défense, ils sont mis hors des débats sur l'attestation des citoyens réviseurs qu'ils n'avaient eu aucune gestion et qu'ils n'avaient été intéressés dans aucun des baux concernés :
Plusieurs autres fermiers, bien qu'arrêtés, échappent aux poursuites sans être déférés au Tribunal révolutionnaire :
La « liste de nivôse » est troublante : destinée à faciliter les arrestations, elle contient des indications sur la situation de certains prévenus qui sont fausses ou destinées à faire croire que les enquêtes sont inutiles. Ainsi est-il écrit que d'Hauteserve n'a jamais été fermier alors qu'un Gauthier d'Hauteserbes est fermier dans la dernière année du bail David, que Rougeot est âgé de 75 ans, pauvre et atteint de la maladie de la pierre ce qui n'empêchera pas sa condamnation. Par ailleurs rapprochée des listes des fermiers publiées dans l'Almanach royal, elle comporte des manques importants.
Certains fermiers, tels Charles Adrien Prévost d'Arlincourt qui fera partie des condamnés du 16 floréal, sont, à tort, désignés comme morts sur la liste des fermiers généraux. Il semble bien que le sort de certains fermiers généraux ait été le jeu de forces contraires visant à les épargner ou à les faire condamner. Des recherches restent à faire sur l'ensemble des fermiers ayant échappé aux poursuites.
Ne serait-ce qu’au travers du déroulement du procès des fermiers généraux, qui est aussi le procès de l'institution, et l'image particulièrement négative qu’il a laissé des fermiers et de la compagnie dans l'histoire et les mentalités collectives, ce jugement paraît bien sévère. Pour autant, faut-il réhabiliter les fermiers, certainement pas, mais le jugement porté tant sur l'institution que sur ses acteurs mérite d'être largement nuancé.
Les fermiers sont responsables d'un système fiscal particulièrement complexe, profondément injuste dans sa répartition, sans lien avec la situation financière et les facultés contributives des assujettis. Le territoire n'est pas fiscalement unifié, l'assiette de l’impôt varie selon les pays tant pour la gabelle que pour les aides, favorisant la fraude à tous les niveaux et impliquant un dispositif impressionnant de contrôle et de répression. Les fermiers n'étaient pas chargés de l'élaboration de la norme, mais de sa seule mise en œuvre. Ils ne peuvent être tenus responsables d'un dispositif dont l'ancienneté des dispositions tenait lieu de brevet d'efficacité.
Jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, la royauté est relativement désarmée pour évaluer le prix des différentes catégories d'impôts qu'elle donne à bail. Elle n'a pas davantage de moyens de contrôler l'activité de la Ferme et l'exactitude des résultats qu'elle affiche. Les rentrées fiscales demeuraient aléatoires, les conséquences des guerres des dernières années du règne de Louis XIV, la période difficile de la Régence et la faillite de la Compagnie des Indes étaient encore dans l'esprit de tous les contrôleurs généraux des finances. Quand, en 1726, se met en place le bail unique de la Ferme Générale, il paraît légitime au pouvoir de laisser les fermiers percevoir une part substantielle des recettes fiscales en échange de la prise en charge des risques de la perception.
À partir des années 1750, d'une part la Ferme se structure, notamment au niveau de son administration centrale, tant au plan de ses effectifs, de leur formation et de leur encadrement, que de son fonctionnement interne. Les services locaux, eux-mêmes très hiérarchisés, sont mieux et étroitement encadrés, la centralisation comptable renforcée.
Parallèlement le Contrôle général des finances se renforce et se professionnalise. L'évaluation des baux devient plus précise et l'approche du risque change.
À partir du bail Henriet (1756), les choses s'accélèrent, d'un contrat de louage pur et simple, on passe à un contrat de louage avec participation aux bénéfices et à partir des années 1780, au moins pour les Régies des Aides et des Domaines à un contrat de louage assorti d'une rémunération fixe et d'un partage des recettes. La Compagnie a accepté ces évolutions qui s'accompagnaient à chaque négociation pour le renouvellement du bail de prébendes diverses, versées à tous les niveaux, auxquelles elle ne voulait, ni ne pouvait, s'opposer mais dont elle s'attachait à minimiser les effets dans le cadre de la négociation sur le prix. Dans le climat de corruption qui régnait dans les dernières années du règne de Louis XV, les fermiers ne pouvaient pas se dispenser de recourir à de telles pratiques.
Il faut attendre les années 1780, pour que croupes, pensions et autres pots-de-vin disparaissent sous l'impulsion de Calonne puis surtout de Necker.
Elle devient progressivement une organisation d'une redoutable efficacité.
Sur le plan organisationnel, elle avait posé au moment de sa disparition toutes les règles de fonctionnement des services, tant centraux que locaux, sur lesquelles s'appuieront l'ensemble des services de gestion de l'impôt. Ce constat est particulièrement vrai pour la Direction de l'enregistrement. Elle met en place une extrême centralisation, qui fait remonter la moindre chose à l'échelon central, les archives conservent des exemples nombreux concernant aussi bien la moralité des commis, l'activité des surnuméraires, que des erreurs de perceptions ou des débets dans des postes comptables dont les recettes étaient insignifiantes. La compagnie avait substitué à l’absence de moyens techniques de l'époque, une organisation hiérarchisée quasi militaire avec un contrôle exigeant de chaque niveau d'intervention. Ce schéma perdurera durant tout le XIXe siècle dans l'ensemble des administrations financières.
Ce système imposait une présence constante des fermiers et on peut leur faire grâce du procès en fainéantise dont ils ont parfois été accusés. Si un nombre réduit d'entre eux, souvent imposés par l'extérieur, n'avaient qu'une activité réduite, la plupart, comme le montre la répartition de leurs départements et le fonctionnement des comités, étaient nécessairement régulièrement très présents
Sur le plan de la réglementation, le corpus de règles qu'elle fixe pour l'assiette des droits indirects, les droits de douane et de contrôle des actes, lui survivront très longtemps. Sur ce terrain, quelle meilleure caution que celle de Joseph Caillaux, qui porte sur l'organisation un jugement sans nuances « au contraire la ferme générale a organisé avec une science parfaite l’administration des impôts indirects, Elle a formé un remarquable corps d'agents familiers avec toutes les questions que posent l'assiette et la perception de ces taxes.Ce sont "les échappés de la ferme générale", selon l'heureuse expression de Dupont de Nemours, qui peuplent les bureaux. »
On peut en dire de même pour les droits d'enregistrement et d’hypothèques, les services qui géraient cette partie de la fiscalité utilisaient encore en 1948, les termes "forcement", "surnuméraires", "garde-magasin" "sommier des découvertes", " consignations" dans leurs acceptions du XVIIIe
L'assiette et le contrôle des gabelles, des Aides et des Traites ne pouvaient reposer que sur l'intervention des brigades. Elles disposaient d'un pouvoir sans contrôle de saisies, perquisitions, usage des armes à feu, etc. Les incidents étaient nombreux.
Si rigoureuse avec les responsables de ses greniers, manufactures et comptables, l'administration de la Ferme ne paraît pas s’être beaucoup interrogée sur le fonctionnement de ses brigades. Si l'on prend, à titre d'exemple, le compte rendu de l'inspection de M. de Caze en Bourgogne montre bien qu'il ne s’intéresse dans son rapport qu'au fonctionnement des brigades, leur positionnement, les résultats des saisies.
Ce n'est pas pour autant qu'il méconnaît cette problématique et lors de son arrivée à Louhans, il visite la prison de la Ferme, y trouve 17 prisonniers « tous misérables » et fait relâcher 5 des 6 femmes car malades ou chargées de famille. Il relate le fait dans son rapport, mais il n'est pas de nature à l'amener à une réflexion ou des propositions sur l'application de la règle par les brigades et ses conséquences sociales.
Ce comportement n'est pas une exception, il apparaît que la Ferme, quand bien même le comportement de ses brigades était au cœur des critiques à l'encontre de l'institution, a privilégié l'efficacité à l'application mesurée des pouvoirs détenus par des hommes mal encadrés, mais aussi mal payés et mal instruits y compris des règles dont ils avaient la charge.
Depuis 1780, la Ferme a perdu les Aides et ne conserve que les entrées de Paris. Elle va rechercher à rentabiliser au maximum cette source de rentrées. Il est raisonnable de s'interroger sur l'opportunité politique en 1784 de ceinturer Paris et colmater au maximum les brèches réglementaires facilitant l'entrée sur la capitale de denrées vendues, certes en fraude, mais à plus bas prix. Lavoisier et donc la Ferme est à l'origine de ces réformes qui vont grandement mécontenter toutes les classes d'une capitale déjà bouillonnante.
Cet épisode est une bonne illustration de cet aveuglement de la Compagnie, qui ne pouvait méconnaître les lourds risques que faisait peser le système sur ceux qui en avaient la conduite. Soucieuse d'une rentabilité immédiate, la Ferme s'est attachée, avec succès, à en porter l'efficacité à son degré maximum et a, en même temps, contribué à causer sa propre perte.
C'est sans doute pour les mêmes raisons, que même tardivement, la Ferme ne semble pas s'être intéressée aux débats fiscaux de la fin du XVIIIe. Bien avant la Révolution, les encyclopédistes et les physiocrates avaient vigoureusement critiqué les abus, les incohérences dans l'application des droits de contrôle.
En 1760, Mirabeau publie sa Théorie de l'impôt, il demande la suppression des impôts indirects. C'est le cœur des attributions de la Ferme qui est visé.« l'intervention et la fatale vigilance des Fermiers fait-elle accroître les produits ? …les fermiers amènent-ils le Commerce ? Ce sont au contraire ses pires ennemis…. S'ils découvrent un filet de commerce, ils ne tendent qu' à asseoir dessus un droit de péage, qu' à l'arrêter par cent formalités insidieuses. [devant la Ferme] tout s'agite, tout s'écarte, tout fuit, tout se cache » . Ce réquisitoire ne laisse aucune place à la Ferme et c'est « une erreur énorme d'interposer une autorité ou une agence quelconque entre la contribution des Sujets et la recette du Souverain »
En 1765 , une brochure anonyme avait porté de sévères jugements sur la Ferme en général, l'ensemble des impôts qu'elle gérait, tant le cœur de ses attributions que les Aides et les droits domaniaux :
« Ce n'était pas assez d'avoir établi l'inquisition la plus odieuse dans les maisons des Citoyens; … d'avoir puni comme fraude la forte consommation que l'on devait encourager; enfin d'avoir puni les hommes sans les avoir convaincus: il ne restait plus aux Financiers qu' à laisser leurs commis maîtres absolus du sort de ces mêmes citoyens, qu'ils supposent, quand bon leur semble, en telle espèce de fraude qu'ils jugent à propos » ; et quelques pages plus loin « Tous les pactes de famille, toutes les sortes de conventions innombrables, qui se font entre les hommes paient des droits immenses… . Les actes qui constituent les propriétés des Citoyens,&, ce qui est bien plus terrible encore, ceux qui constituent leur état et leur honneur, sont livrés à l'avide curiosité des Traitans, qui les tournent sous tous les sens pour découvrir celui qui les rendra susceptibles des plus grands droits, & qui souvent n'a pas été celui des contractants »
Dans les années 1780, les critiques s'accumulent. Guillaume-François Le Trosne, cite un rapport de la Cour des Aides qui dans une adresse au roi en 1775 écrivait au sujet de la gabelle « L'impôt l'a porté à 25 fois au-dessus de sa valeur de première main …, il a réduit la consommation intérieure au plus étroit nécessaire, il a privé la culture d'un engrais pour les terres & d'un préservatif nécessaire aux bestiaux, … il a jeté dans la désobéissance un nombre considérable de vos sujets, . . . il vous force pour réprimer des contraventions continuelles à avoir le bras toujours levé sur vos sujets & à décerner des peines destinées aux crimes … contre des délits… .Cet impôt vous donne 45 millions mais il produit la misère publique » et plus loin sur lois des Domaines « qui portent sur tous les actes passés entre les citoyens et s'arbitrent suivant la fantaisie du Préposé, qui sont établies sur des lois si obscures et si incomplètes, que celui qui paie ne peut jamais savoir ce qu'il doit, que souvent le fermier ne le sait pas mieux, et qu'il est Législateur souverain dans des matières qui sont l'objet de son intérêt personnel,[sont] des abus intolérables » Il propose une solution il faut supprimer la Ferme radicalement et non par degrés et il existe un moyen de lever tous les obstacles c'est « de faire concourir la Nation à la réforme et de gagner l'opinion publique en exposant avec franchise et exactitude tout ce que coûte aujourd'hui la Ferme directement et indirectement et tout ce que la nation gagnera à sa suppression »
En 1783, dès sa prise de fonction, Calonne révèle les grandes lignes de son plan de réformes dans son discours devant la Chambre des comptes, où il se rend escorté par des maîtres des requêtes, des intendants des finances et des députations des fermiers généraux, le 13 novembre 1783 : « Ce sera pour moi le plus parfait bonheur si, aussitôt après avoir franchi l’espace laborieux qu’il faut parcourir pour l’acquittement des dettes de la guerre, je puis parvenir à l’exécution d’un plan d’amélioration qui fondé sur la constitution même de la monarchie, en embrasse toutes les parties sans en ébranler aucune, régénère les ressources plutôt que de les pressurer, éloigne à jamais l’idée de ces remèdes empiriques et violents dont il ne faut même pas rappeler le souvenir, et fasse trouver le vrai secret d’alléger les impôts dans l’égalité proportionnelle de leur répartition, aussi que dans la simplification de leur recouvrement. » C'était un vibrant appel à la réforme fiscale.
L'Assemblée des Notables de 1787 condamne la gabelle, « la gabelle est jugée. Son régime est décidé de nature si défectueuse qu'il n'est pas susceptible de réforme »
Pour autant, Lavoisier, esprit curieux, qui s’intéressait aux sujets les plus divers particulièrement dans le domaine financier où il a joué un rôle important jusqu'en 1791, non seulement n'a laissé aucun écrit sur le système fiscal de l'époque et ses perspectives d'évolutions souhaitables, mais encore a été à l’initiative de mesures, certes efficaces sur le maintien de l'existant, mais fortement impopulaires.
Il est vrai que la violence des critiques ne laissait plus de place aux fermiers dans le nouveau système fiscal, que le débat Ferme ou Régie ne leur était pas favorable et qu'ils avaient su faire chuter le Contrôleur Général des Finances qui en 1783 voulait transformer la ferme en régie, contribuer à mettre en échec les réformes de Calonne et de Loménie de Brienne et œuvrer au retour du pragmatique Necker qui leur était plus favorable.
La Compagnie n'avait pas compris qu'il fallait tout changer pour que rien ne bouge.
Ce microcosme est en tout point comparable à la société du XVIIIe siècle, de la bourgeoisie aisée à la noblesse. Les quelques fermiers de basse extraction et sans fortune, sont des protégés de tel ou tel fermier qui, ayant perçu leurs capacités, avait favorisé leur carrière, d'abord dans les services de la Ferme puis permis leur admission dans la Compagnie. Les fermiers comportent autant d'érudits, de savants, mécènes, personnalités extravagantes ou dépensières jusqu'à l'insensé, d'hommes de bien que les autres groupes de la société.
Ils ne méritent ni pire, ni meilleur jugement que l'ensemble du corps social auquel ils appartiennent et encore moins une condamnation globale du fait de leur appartenance à la Ferme.
Jusque dans la liste des condamnés, il est facile de retrouver cette constante, un monde sépare les fastes de Jean Joseph de Laborde, des préoccupations du savant Lavoisier, ou de l'esthète Jean Benjamin de Laborde. Ni les uns, ni les autres n'ont de point commun avec Jean Jacques Marie Verdun, arrêté comme les autres fermiers, mais qu'une pétition signée du maire de Colombes, du curé, du juge, d'une centaine de chefs de famille et une manifestation de la population locale devant la Convention en raison de ses largesses et bienfaits envers les plus démunis et toute la communauté locale, arriveront à faire élargir avant le procès du 16 floréal.
Seul particularisme, mais il est de taille, ils sont les plus riches, avec les banquiers, de toutes les classes sociales et cette opulence, qu'un grand nombre affiche, parfois avec ostentation, leur sera fatale.
Ils n'étaient dans leur très grande majorité pas favorables à la révolution, à tout le moins à celle postérieure à l’Assemblée législative. Prudents, peu d'entre eux semblent avoir activement milité pour la chute de la république et le retour de la royauté. Un très petit nombre d'entre eux ont émigré, laissant à penser qu'ils ne se sentaient pas menacés par le nouveau régime.
Ce jugement, sévère sur le déroulement des procès, nuancé sur la Ferme et les Fermiers, ne doit conduire à aucune conclusion ou jugement sur la Terreur. La radicalisation de la Révolution, pour la rendre conforme à son discours, arbitre toutes les luttes politiques et finit par amener au pouvoir « la figure la plus pure de ce discours ». Pour Robespierre, en effet, la Terreur doit amener le règne de la vertu et la guillotine est l'instrument du partage entre les bons et les méchants. « …[L]'idéologie finit par être pour quelques mois coextensive au gouvernement lui-même. Dès lors, tout débat perd sa raison d'être, puisqu'il n'y a plus d'espace à occuper entre l'idée et le pouvoir, ni de place pour la politique, que le consensus ou la mort ».
La Terreur, c'est effectivement 2 800 morts, mais c'est aussi, sans adhérer à la thèse qui voudrait réduire la Terreur aux périodes de détresse et de défaites en faisant des circonstances son principe explicatif, contribuer à permettre à la France de résister à l'ensemble des pressions militaires intérieures (soulèvement de la Vendée), extérieures (coalition autrichienne et prussienne). Il fallait sauver plus que la Patrie, la Révolution elle-même.
Les « terroristes » sont des bourgeois éclairés, nourris de Rousseau, de l'Encyclopédie. Certains avaient avant la Révolution fait de très belles carrières à l'image de l'acteur Collot d'Herbois ou du médecin Marat, qui est tué juste avant la Terreur mais en est un des théoriciens. Ils ont souvent entretenu des relations de grande proximité et très amicales avec leurs victimes. Ce sont des hommes imprégnés des valeurs des Lumières et c'est au nom de la défense intransigeante de l'individu et de la liberté qu'ils vont aller jusqu'au paroxysme.
Ils n'appartiennent pas tous à la Montagne : Ainsi Barère qui, pour Denis Richet « fut la tête pensante du 9 Thermidor »; mais qui aussi « était la Plaine, ralliée au gouvernement révolutionnaire tant que celui-ci lui avait semblé indispensable pour sauver la Révolution, mais désireuse d'effacer terreur et dictature dès lors que la Révolution lui semblait sauvée ».
Ce sont des partisans de Robespierre qui avaient appliqué les mêmes méthodes, comme Fouché à Lyon ou Tallien à Bordeaux, qui sont à l'origine du 9 Thermidor. La réaction thermidorienne qui s'ensuivra ne sera pas moins violente : le 9 Thermidor, c'est une centaine d'exécutions sommaires, l'épuration du club des Jacobins et des sections parisiennes, d'une rare violence qui n'est pas sans rappeler les Massacres de Septembre 1792. Les Girondins revenant au pouvoir ne méritent peut-être pas tous les éloges de Lamartine sur la grandeur et la générosité des défenseurs des droits de l'homme et des libertés. Comme le montre Augustin Cochin, la Terreur a des racines bien antérieures à 1793 et le 9 Thermidor est une des charnières importantes de notre histoire qui, pour citer François Furet, « [en] rendant au social son indépendance par rapport à l'idéologie, … nous fait passer de Cochin à Tocqueville ».
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