EXPERTS, s. m. pl. (Jurispr.) sont des gens versés dans la connoissance d’une science, d’un art,d’une certaine espece de marchandise, ou autre chose ; lesquels sont choisis pour faire leur rapport &donner leur avis sur quelque point de fait d’où dépend la décision d’une contestation, & que l’on nepeut bien entendre sans le secours des connoissancesqui sont propres aux personnes d’une certaine profession.

Par exemple, s’il s’agit d’estimer des mouvancesféodales, droits seigneuriaux, droits de justice &honorifiques, on nomme ordinairement des seigneurs& gentilshommes possédant des biens & droits demême qualité ; & pour l’estimation des terres labourables,des labours, des grains, & ustensiles de labour,on prend pour experts des laboureurs ; s’il s’agit d’estimer des bâtimens, on prend pour experts desarchitectes, des maçons, & des charpentiers, chacun pour ce qui est de leur ressort ; s’il s’agit de vérifier une écriture, on prend pour experts des maîtresécrivains ; & ainsi des autres matieres.

Les experts sont nommés dans quelques anciensauteurs juratores, parce qu’ils doivent prêter serment en justice avant de procéder à leur commission ; & comme on ne nomme des experts que sur des matieres de fait, de-là vient l’ancienne maxime :ad quæstionem facti respondent juratores, ad quæstionem juris respondent judices ; c’est aussi de-là qu’ilssont appellés parmi nous jurés, ou experts jurés.Mais présentement cette derniere qualité ne se donne qu’aux experts qui sont en titre d’office, quoiquetous experts doivent prêter serment.

L’usage de nommer des experts nous vient des Romains ; car outre les arpenteurs, mensores, qui faisoient la mesure des terres, & les huissiers-priseurs,summarii, qui estimoient les biens, on prenoit aussides gens de chaque profession pour les choses dontla connoissance dépendoit des principes de l’art. Ainsinous voyons en la novelle 64, que l’estimation deslégumes devoit être faite par des jardiniers de Constantinople, ab hortulanis & ipsis horum peritiam habentibus ; ce que l’on rend dans notre langue par cestermes, & gens à ce connoissans.

Les experts étoient choisis par les parties, commeil est dit en la loi hac edictali per eos quos utraque pars elegerit ; on leur faisoit prêter serment suivant cettemême loi, interposito sacramento ; & la novelle 64 faitmention que ce serment se prêtoit sur les évangiles,divinis nimirum propositis evangeliis.

Ils sont qualifiés d’arbitres dans quelques lois, quoique la fonction d’arbitres soit différente de celle desexperts, ceux-ci n’étant point juges.

Le droit canon admet pareillement l’usage des experts, puisqu’au chap. vj. de frigidis & maleficiatis ilest dit qu’on appelle des matrones pour avoir leursavis : volens habere certitudinem pleniorem, quasdam matronas suæ parochiæ providas & honestas ad tuam præsentiam evocasti.

En France autrefois il n’y avoit d’autres expertsque ceux qui étoient nommés par les parties, ou quiétoient nommés d’office par le juge, lorsqu’il y avoitlieu de le faire.

Nos rois voulant empêcher les abus qui se commettoient dans les mesurages & prisées de terres,visites & rapports en matiere de servitude, partages,toisés, & autres actes dépendans de l’architecture &construction, créerent d’une part des arpenteurs jurés,& de l’autre des jurés maçons & charpentiers,en toutes les villes du royaume.

La création des jurés-arpenteurs fut faite par Henri II. par édit du mois de Février 1554, portant création de six offices d’arpenteurs & mesureurs des terres dans chaque bailliage, sénéchaussée, & autresressorts. Henri III. par autre édit du mois de Juin1575, augmenta ce nombre d’arpenteurs de quatreen chacune desdites jurisdictions ; il leur attribual’hérédité & la qualité de prudhommes-priseurs de terres. Il y en eut encore de créés sous le titre d’experts-jurés-arpenteurs dans toutes les villes où il y a jurisdiction royale, par édit du mois de Mai 1689. Tousces arpenteurs-priseurs de terres furent suppriméspar édit du mois de Décembre 1690, dont on parlera dans un moment.

D’un autre côté Henri III. avoit créé par éditdu mois d’Octobre 1574, des jurés-maçons & charpentiers en toutes les villes du royaume, pour lesvisites, toisés, & prisées des bâtimens, & tous rapports en matiere de servitude, partage, & autresactes semblables.

Il y eut aussi au mois de Septembre 1668, un éditportant création en chaque ville du ressort du parlement de Toulouse, de trois offices de commissaires-prudhommes-experts jurés, pour procéder à la vérification & estimation ordonnées par justice des biens& héritages saisis réellement, à la liquidation des dégâts,pertes, & déterioration, à l’audition & clôturedes comptes de tutelle & curatelle.

Mais la plûpart des offices créés par ces édits nefurent pas levés à cause des plaintes qui furent faitescontre ceux qui avoient été les premiers pourvûs deces offices : c’est pourquoi l’ordonnance de 1667,tit. xxj. art. 11. ordonna que les juges & les partiespourroient nommer pour experts des bourgeois ; &qu’en cas qu’un artisan fût intéressé en son nom,il ne pourroit être pris pour expert qu’un bourgeois.

Mais comme il arrivoit tous les jours que des personnes sans expérience suffisante s’ingéroient de fairedes rapports dans des arts & métiers dont ils n’avoient ni pratique ni connoissance, Louis XIV. crutdevoir remédier à ces desordres, en créant des experts en titre ; ce qu’il fit par différens édits.

Le premier est celui du mois de Mai 1690, parlequel il supprima les offices de jurés-maçons &charpentiers créés par l’édit du mois de Décembre1574, & autres édits & déclarations qui auroientpû être donnés en conséquence ; & par le même éditil créa en titre d’office héréditaire pour la ville deParis cinquante experts jurés ; savoir vingt-cinq bourgeois ou architectes, qui auront expressément & paracte en bonne forme, renoncé à faire aucunes entreprises directement par eux, ou indirectement parpersonnes interposées, ou aucunes associations avecdes entrepreneurs, à peine de privation de leur charge ; & vingt-cinq entrepreneurs maçons, ou maîtresouvriers : & à l’égard des autres villes, il créa sixjurés-experts dans celles où il y a parlement, chambre des comptes, cour des aides ; trois dans cellesoù il y a généralité, & autant dans celles où il y aprésidial, avec exemption de tutelle, curatelle, logement de gens de guerre, & de toutes charges deville & de police ; & en outre pour ceux de Paris,le droit de garde-gardienne au châtelet de Paris.

Il est dit que les pourvûs de ces offices pourrontêtre nommés experts ; savoir ceux de la ville de Paris, tant dans la prevôté & vicomté, que dans toutesles autres villes & lieux du royaume ; ceux des villesoù il y a parlement, tant dans ladite ville que dansl’étendue du ressort du parlement ; ceux des autresvilles, chacun dans les lieux de leur établissement ;& dans le ressort du présidial ou autre jurisdictionordinaire de ladite ville, pour y faire toutes les visites,rapports des ouvrages, tant à l’amiable qu’enjustice, en toute matiere pour raison des partages,licitations, servitudes, alignemens, périls imminens,visites de carriere, moulins à vent & à eau, coursd’eaux, & chaussées desdits moulins, terrasses &jardinages, toisées, prisées, estimation de tous ouvrages de maçonnerie, charpenterie, couverture,menuiserie, sculpture, peinture, dorure, marbre,serrurerie, vitrerie, plomb, pavé, & autres ouvrages & réception d’iceux, & généralement de tout cequi concerne & dépend de l’expérience des chosesci-dessus exprimées ; avec défenses à toutes autrespersonnes de faire aucuns rapports & autres actesqui concernent ces sortes d’opérations, & aux parties de convenir d’autres experts, aux juges d’en nommer d’autres d’office, & d’avoir égard aux rapportsqui pourroient être faits par d’autres.

Ce même édit ordonne qu’il sera fait un tableaudes cinquante experts, distingué en deux colonnes,l’une des vingt-cinq experts-bourgeois-architectes,l’autre des vingt-cinq experts-entrepreneurs. Il regleleurs salaires & vacations ; ordonne qu’ils prêterontserment devant le juge des lieux ; qu’à Paris les vingt-cinq experts-entrepreneurs feront tour-à-tour toutesles semaines la visite de tous les atteliers & bâtimensqui se construisent dans la ville & fauxbourgs ; qu’ilsseront à cet effet assistés de six maîtres maçons, pourfaire leur rapport des contraventions qu’ils remarqueront,dont les amendes seront perçûes par le fermier du domaine ; qu’on ne recevra aucun maîtremaçon, que les jurés-experts-entrepreneurs n’ayent été mandés pour être présens à l’expérience & chef-d’œuvre des aspirans, & qu’ils n’ayent été certifiéscapables par deux desdits jurés, & par le plus ancienou celui qui sera député de la premiere colonne, quiassistera, si bon lui semble, au chef-d’œuvre.

Il y avoit déjà des greffiers de l’écritoire, pourécrire les rapports des experts ; le nombre en fut augmenté par cet édit. Voyez Greffiers de l’ecritoire.

Le second édit, donné par Louis XIV. sur cettematiere, est celui du mois de Juillet de la même année,donné en interprétation du précédent. Il portecréation en chaque ville du royaume où il y a bailliage,sénéchaussée, viguerie, ou autre siége & jurisdiction royale, de trois experts, & un greffier de l’écritoire dans chacune de ces villes pour recevoirleurs rapports.

Le troisieme édit est celui du mois de Décembrede la même année, par lequel Louis XIV. supprimales offices d’arpenteurs-priseurs de terre, créés parédits des mois de Février 1554 & Juin 1575 ; & enleur place il créa en titre d’office trois experts-priseurs & arpenteurs jurés dans chacune des villes oùil y a parlement, chambre des comptes, & cour desaides, & aussi dans les villes de Lyon, Marseille,Orléans, & Angers, pour faire avec les six expertsjurés, créés par édit du mois de Mai précédent, pourchacune des villes où il y a parlement, chambre descomptes, & cour des aides, le nombre de neuf experts-priseurs & arpenteurs jurés ; & avec les troiscréés par le même édit, pour les villes de Lyon,Marseille. Orléans, & Angers, le nombre de six experts-priseurs & arpenteurs jurés ; création de deuxdans les villes où il y a généralité ou présidial, pourfaire avec les trois créés par le premier édit le nombre de cinq, & un quatrieme dans les autres villesoù il y en avoit déjà trois : ensorte que tous ces experts, à l’exception de ceux de Paris, fussent dorénavant experts-priseurs & arpenteurs jurés, pour faireseuls, à l’exclusion de tous autres, tout ce qui estporté par l’édit du mois de Mai 1690 ; comme aussitous les arpentages, mesurages, & prisées de terres,vignes, prés, bois, eaux, îles, patis, communes,& toutes les autres fonctions attribuées aux arpenteurs-priseurs par les édits de 1554 & 1575. Voy.Arpenteurs.

Le quatrieme édit est celui du mois de Mars 1696,portant création d’offices d’experts-priseurs & arpenteurs jurés, par augmentation du nombre fixé parles édits des mois de Mai, Juillet, & Décembre1690. Au moyen de ces différentes créations, il y aprésentement à Paris soixante experts jurés ; savoirtrente experts-bourgeois, & trente experts-entrepreneurs.

L’édit de 1696 porte aussi création de deux offices de priseurs nobles dans chaque évêché de la province de Bretagne. Dans le même tems il y eut unsemblable édit adressé au parlement de Roüen, &un autre au parlement de Grenoble.

Il avoit été créé des offices de petits-voyers, dontles fonctions, par édit du mois de Novembre 1697,furent unies à celles des experts créés par édits de1689, 1690, & 1696.

En conséquence de ces édits, on avoit établi desexperts jurés dans le duché de Bourgogne & dansles pays de Bresse, Bugey, & Gex, de même quedans les autres provinces du royaume. Mais sur lesremontrances des états de la province de Bourgogne, ces officiers furent supprimés par édit du moisd’Août 1700, tant pour cette province, que pourles pays de Bresse, Bugey, & Gex.

Les maîtres Graveurs-Ciseleurs de Paris sont experts en titre, pour vérifications & ruptures desscellés.

Lorsqu’il s’agit d’écriture, on nomme des maîtresécrivains experts pour les vérifications.

Dans toutes les villes où il y a des experts en titre,les parties ne peuvent convenir, & les juges ne peuvent nommer d’office que des experts du nombre deceux qui sont en titre, à moins que ce ne soit sur desmatieres qui dépendent de connoissances propres àd’autres personnes : par exemple s’il s’agit de quelque fait de commerce, on nomme pour experts desmarchands ; si c’est un fait de banque, on nommedes banquiers.

Le procès-verbal que font les experts pour constater l’état des lieux ou des choses qu’ils ont vûs, s’appelle rapport ; & quand on ordonne qu’une chose seraestimée à dire d’experts, cela signifie que les expertsdiront leur avis sur l’estimation, & estimeront lachose ce qu’ils croyent qu’elle peut valoir.

Lorsque la contestation est dans un lieu où il n’ya point d’experts en titre, on nomme pour experts lespersonnes le plus au fait de la matiere dont il s’agit.

Suivant l’ordonnance de 1667, titre xxij. les jugemens qui ordonnent que des lieux & ouvrages seront vûs, visités, toisés, ou estimés par experts,doivent faire mention expresse des faits sur lesquelsles rapports doivent être faits, du juge qui sera commis pour procéder à la nomination des experts, recevoir leur serment & rapport, comme aussi du délai dans lequel les parties devront comparoir pardevant le commissaire.

Si au jour de l’assignation une des parties ne compare pas, ou est refusante de convenir d’experts, lecommissaire en doit nommer un d’office pour la partie absente ou refusante, pour procéder à la visiteavec l’expert nommé par l’autre partie. Si les deuxparties refusent d’en nommer, le juge en nommeaussi d’office, le tout sauf à recuser ; & si la recusation est jugée valable, on en nomme d’autres àla place de ceux qui ont été recusés.

Le commissaire doit ordonner par le procès-verbal de nomination des experts, le jour & l’heure pourcomparoir devant lui & faire le serment ; ce qu’ilsseront tenus de faire sur la premiere assignation ;& dans le même tems on doit leur remettre le jugement qui a ordonné la visite, à laquelle ils doivent vacquer incessamment.

Les juges & les parties peuvent nommer pour experts des experts-bourgeois ; & en cas qu’un artisansoit intéressé en son nom contre un bourgeois, onne peut prendre pour tiers qu’un expert-bourgeois.

Il est de la regle que les experts doivent faire rédiger leur rapport sur le lieu par leur greffier, &signer la minute avant de partir de dessus le lieu.Voyez l’ordonnance de Charles IX. de l’an 1567.

Les experts doivent délivrer au commissaire leurrapport en minute, pour être attaché à son procès-verbal,& transcrit dans la même grosse ou cahier.

Si les experts sont contraires en leur rapport, lejuge doit nommer d’office un tiers qui sera assistédes autres en la visite ; & si tous les experts s’accordent,ils ne donnent qu’un seul avis & par un même rapport, sinon ils donnent leur avis séparément.

L’ordonnance abroge l’usage de faire recevoir enjustice les rapports d’experts, & dit seulement queles parties peuvent les produire ou les contester, sibon leur semble. La production dont parle l’ordonnance,ne se fait que quand l’affaire est appointée ;l’usage est de demander l’entérinement du rapport :ce que le juge n’ordonne que quand il trouve lerapport en bonne forme, & qu’il n’y a pas lieu d’enordonner un nouveau.

Il est défendu aux experts de recevoir aucun présent des parties, ni de souffrir qu’ils les défrayentou payent leur dépense, directement ou indirectement, à peine de concussion & de 300 livres d’amende applicable aux pauvres des lieux. Les vacations des experts doivent être taxées par le commissaire.

La partie la plus diligente peut faire donner auprocureur de l’autre partie, copie des procès-verbaux & rapports d’experts ; & trois jours après poursuivre l’audience sur un simple acte, si l’affaire estd’audience, ou produire le rapport d’experts, si leprocès est appointé.

Les experts ne sont point juges ; leur rapport n’estjamais considéré que comme un avis donné pour instruire la religion du juge ; & celui-ci n’est point astreint à suivre l’avis des experts.

Si le rapport est nul, ou que la matiere ne se trouve pas suffisamment éclaircie, le juge peut ordonner un second, & même un troisieme rapport. Sic’est une des parties qui requiert le nouveau rapport,& que le juge l’ordonne, ce rapport doit êtrefait aux dépens de la partie qui le demande. Voyez l’article 184. de la coûtume de Paris, & les coûtumes de Nivernois, Bourbonnois, Melun, Estampes, &Montfort.

Pour ce qui concerne la fonction des experts enmatiere de faux principal ou incident, ou de reconnoissance en matiere criminelle, lorsque l’on a recours à la preuve par comparaison d’écriture, voyez l’ordonnance du faux du mois de Juillet 1737, & Reconnoissance. (A)

Expert-Architecte ou Expert-Bourgeois,est celui qui n’est point entrepreneur de bâtimens.Voyez ce qui en est dit ci-devant.

Expert-Arpenteur-Mesureur-Priseur,étoit un expert destiné à mesurer & estimer les terres,prés, bois, &c. Ces experts-arpenteurs ont étésupprimés. Voyez ce qui en est dit ci-devant au mot Expert.

Expert-Bourgeois, est différent d’un bourgeois que l’on nomme pour expert. Avant qu’il y eûtdes experts en titre, on nommoit pour experts desbourgeois, comme cela se pratique encore dans lespays où il n’y a pas d’experts. Mais depuis la création des experts, dans les pays où il y en a, on entend par expert-bourgeois, un expert en titre qui n’estpas entrepreneur de bâtimens. Voyez ci-devant Expert.

Expert-juré, est celui qui est en titre d’office.Voyez ci-devant Expert.

Expert-noble ; il en fut créé par édit de 1696.Voyez ce qui en est dit ci-devant au mot Expert.

Expert nommé d’office, est celui que le juge nomme pour une partie absente, ou qui refused’en nommer, ou pour les deux parties, lorsqu’ellesn’en nomment point, ou enfin qu’il nomme pourtiers-expert, lorsque les parties ne s’accordent passur le choix.

Expert surnuméraire ou Surnuméraire :quelques auteurs appellent ainsi le tiers-expert, parcequ’il est nommé outre le nombre ordinaire.

Expert tiers, est celui dont les parties conviennent,ou que le juge nomme d’office, pour départager les experts qui sont d’avis différent. (A)