CHAPITRE V

L’amour chez l’Annamite. — Formes de coït les plus usitées. — Maisons de prostitution Asiatiques. — Le Bambou Annamite. — Dangers de l’amour Annamite. — Gonorrhée et syphilis. — Le lupanar Chinois. — La prostitution Chinoise. — Maisons de prostitution de Cho-lon. — Procédés des vieux débauchés Chinois. — Le lupanar Japonais. — Caractères physiques de la Japonaise. — La maîtresse Annamite de l’Européen.



L’amour chez l’Annamite. — L’amour, dansla race Annamite, est avant tout et par dessus tout, un contact de muqueuses fort généralement malpropres. Il n’y a pas de peupleau monde qui présente autant de dangers de contamination physique que celui-là.

Le mariage est pour l’Annamite (et en cela il ressemblefort à notre civilisé moderne) une question d’affairecommerciale et de procréation d’une descendance plutôtque d’amour sentimental. De son côté, la femme n’apas en général pour son mari une affection bien grande ;elle reporte son amour sur ses enfants. Ses mœurs sontassez relâchées ; le tout, pour la femme Annamite, estde ne pas se faire prendre, et, comme elle est plus intelligente que son mari, on peut s’en rapporter à elle pourmettre un épais bandeau sur les yeux du crédule époux.

Formes de coït les plus usitées. — Le lit, dans l’habitation Annamite, est une simple claie de bambousentrelacés, recouverte d’une mauvaise natte. Ce lit estpeu propice aux relations sexuelles dans la forme classique (homme sur la femme). Aussi, le troupier Françaisqui va voir une femme dans les maisons de prostitutionet qui frotte ses genoux contre les nœuds et rugositésdu clayonnage, appelle cela « aller au bambou ». Parextension, ce terme désigne également la maison deprostitution Annamite.

L’Annamite emploie rarement cette position classique.Celle qui lui est la plus habituelle est la position latérale,l’homme et la femme couchés l’un en face de l’autre surle flanc, ont leurs jambes allongées et appliquées directement. Une fois la connexion faite, la femme serre sonamant avec ses cuisses. Cette position ne peut se prendrequ’entre gens maigres et sans ventre rondelet, ce qui estle cas général de la race.

Il arrive souvent aussi que la femme croise, avec l’unede ses cuisses, la cuisse de l’homme pour faciliter l’introduction. La femme Annamite connaît également lecoït more canino, position qu’elle prend pour parer àl’imperfection d’un membre viril trop petit ou tropcourt. Quand la Congaï possède un ventre saillant etdéveloppé, ce qui est rare, ou bien si elle est enceinte,ce qui est commun, la copulation se fait alors la femmeà genoux, appuyée en avant sur le bord du lit, l’hommeaccroupi sur elle. D’autres fois, le mari s’allonge sur ledos, comme celui des Contes de Boccace, et la femme semet sur lui à califourchon, mais en lui tournant le dos,de manière que le poids de son corps soit supporté parson postérieur appuyé sur le ventre du mari.

Il y a, dans ces deux positions, une préoccupationévidente de ne pas blesser le fruit, et bien des ménagesEuropéens devraient prendre, en pareil cas, de semblables précautions.

L’Annamite pratique généralement l’amour dans levase naturel avec sa femme, malgré la lasciveté naturelle aux deux sexes. Mais quand la Congaï tombe entre lesmains d’un Européen débauché, elle apprend vite de luitous les secrets de l’oreiller ; élève docile et complaisante,elle n’a pas longtemps besoin des leçons dumaître.


Maisons de prostitution Asiatiques. — Ici, commedans tout pays civilisé, il y en a pour tous les goûts età tous les prix : depuis le bambou Annamite jusqu’à l’horizontale en chambre, la protégée et la maîtresse d’unriche Asiatique, qui condescend à vous accorder ses faveurs,mais jamais gratis.

Si la courtisane Européenne a été longtemps une rareté dans la Colonie, jamais, même pendant la périodede la conquête, on n’a manqué de femmes indigènes.Ici, comme ailleurs, la femme et la fille du vaincu sontdevenues la proie du vainqueur.

Nous divisons en trois catégories bien distinctes lesmaisons de prostitution Asiatiques.

Le Bambou Annamite. — Appliquons-lui ce termede bambou, que lui ont donné nos troupiers. Là, pointde luxe : une paillotte ouverte à tous venants, la claie, et,dessus, une natte, quelques escabeaux ; des lampes àhuile de coco répandent une odeur fétide.

Ce n’est pas qu’on n’y rencontre que de vieilles prostituées ;bien au contraire. On y trouve souvent des fillettes à peine nubiles de seize à dix-sept ans, livrées parleurs matrones ou vendues par leurs parents. L’âgemoyen des pensionnaires ne dépasse guère vingt ans. Lecostume de ces dames est le costume Annamite de labasse classe : vêtement de coton. Mais toujours un collier d’argent et des boucles d’oreilles en ambre, achetéesavec les premiers gains.

Quand elle débute, la fille de bambou ne sait pas un mot de Français et ne connaît rien des secrets de Vénus.Soyez tranquille, elle se forme vite ; elle vous gazouilledes amabilités et vous fait ses propositions dans unsabir ultra érotique, car elle est à bonne école. Elle nefait cependant pas fortune, aussi longtemps qu’elle restedans l’établissement, car elle est exploitée outre mesurepar le tenancier de la maison. Les tarifs du bambou sontpeu élevés : cela varie de un franc à une demi-piastre.Moyennant une piastre, on a droit à partager le lit de labelle pour la fin de la nuit.

Il faut avouer que, pour les amateurs nouveaux venusdans la Colonie, la Congaï n’est pas séduisante. Il y ad’abord cette bave sanguinolente produite par le bétel etl’horrible aspect des dents laquées de noir. C’est cependant un signe de beauté chez elle, ainsi que le pubisglabre qui contribue aussi à rebuter l’Européen. La Congaï méprise la femme Européenne, en disant qu’elle ades dents de chien et du poil à sa nature, comme lesbêtes. J’ai entendu faire souvent cette remarque parles indigènes. Un second motif de répulsion, c’est l’odeursui generis de la Congaï, mélange odieux du fumet del’huile de coco rance, de la sueur et de la crasse d’un vêtement qu’on ne lave jamais de peur de l’user ; cetteodeur vous saisit à la gorge et dompte les appétits vénériens les plus robustes. On est longtemps à s’y faire ; ilfaut un certain courage ; mais enfin on s’y habitue, surtout lorsqu’on a la chance de tomber sur une filletteassez bien faite de corps et dont les dents ne sont pasencore laquées.

Dangers de l’amour Annamite. — Gonorrhée et syphilis. — Passe encore si la Congaï se contentait d’êtrerépugnante. Malgré les visites médicales les plus sérieuses,la sécurité de l’amour avec elle est loin d’être complète.D’abord, les flueurs blanches sont chez elle presque la règle, et elle donne à ses adorateurs des gonorrhéesd’une grande ténacité, surtout quand l’Européen estaffaibli par le climat. La syphilis est également très commune dans cette race. Il n’entre pas dans le cadre dece travail de faire l’étiologie de cette maladie. Je constate simplement qu’elle a dans ce pays de profondesracines, et le manque d’un traitement rationnel en aétendu les ravages.

On peut se rendre compte des dangers de cette maladieen Cochinchine, car la statistique a démontré que, pendant les vingt premières années de l’occupation, ellefournissait à elle seule la moitié des invalidations deshôpitaux, autant que la fièvre paludéenne, le choléra, ladysenterie, l’hépatite et la diarrhée spécifique de Cochinchine.

Pour finir avec la pensionnaire du bambou Annamite :si elle est gentille et intelligente, une fois qu’elle a appris à se faire comprendre dans le sabir polyglotte, qu’ellea acquis quelques petits talents d’un genre particulier, etmis de côté quelques piastres, elle quitte la maison. Àpoint nommé, il se trouve un épouseur qui l'installedans un des villages autour de Saïgon, et ce peu sympathique personnage devient alors son exploiteur. Lecouple masque d’ordinaire son véritable métier sous lesdehors d’un petit commerce de fruits et denrées diverses.

Le matin, la femme part pour le marché de Saïgon ;mais, au lieu de rentrer de bonne heure chez elle,comme une honnête marchande, elle s’en va exploiter,à domicile, l’Européen à l’heure de la sieste. Nous laverrons tout à l’heure à l’œuvre.

Le lupanar Chinois. — Les premières femmes publiques Chinoises vinrent de Singapour vers 1866 ou1867. L’établissement Chinois, à qui l’on peut donner le nom de lupanar, est plus propre que le bambouAnnamite.

Voici comment on achalandé la pratique. Au rez-de chaussée, devant la porte et sous l’abri de la véranda,ces dames se tiennent assises, entourant leur mama, latenancière du lupanar. À l’entrée, se trouve une sorte desalon public, où les clients, assis sur des canapés enrotin ou en bambous, viennent faire leur cour et leurchoix, en présence de la gravure coloriée du BouddhaChinois femelle (la déesse de la Reproduction, représentée sous la forme d’une énorme femme, aux puissantes mamelles), devant laquelle brûle constammentune lampe pieuse.

Le choix fait, on accède au premier étage par unevéritable échelle de meunier, sur le derrière de lamaison. Au premier, s’étend une série de lits Chinoispresque aussi larges que longs, enveloppés pudiquementdans une moustiquaire de couleur sombre qui abrite sousses plis nos amants d’une heure.

L’amateur d’opium y trouve toujours une pipe et desopératrices pour la préparer, plusieurs de ces damesayant reçu une instruction ad hoc. Cependant, peud’entre elles fument, sauf quelquefois la mama.

La prostituée Chinoise. — Elle provient, le plus généralement, de la Chine méridionale. Sa taille est petite ;elle est souvent grassouillette, à peau presque jaune, couleur de thé clair. Elle a les seins plus arrondis et lesmuscles des cuisses et des jambes plus développés que laCongaï. Son pubis est soigneusement épilé. La vulveet le vagin ont des dimensions un peu plus grandesque chez la Congaï. Mais ce qui la différencie de celle-ci, c’est que la Chinoise est fort propre de corps. Elle selave en entier tous les jours, et ses vêtements blancsou à teintes claires sont très soignés. La Chinoise ne sent pas mauvais comme l’Annamite. Si nous ajoutons qu’ellene chique pas le bétel, et qu’elle a de belles dents blanches,fort soigneusement entretenues, on reconnaîtra avecnous que la courtisane Chinoise s’éloigne moins que laCongaï de la femme d’Europe.

Malheureusement pour les amateurs de voluptés pimentées, elle présente un immense défaut : sa frigidité.Elle accomplit machinalement le coït, comme une opération commerciale qui lui rapportera une piastre, et c’esttout.

La grande préoccupation de la Chinoise, avant tout,c’est de ne pas déranger l’édifice soigneusement élaboréde sa chevelure, qu’elle fait arranger seulement une foispar mois par l’artiste capillaire Chinois. Qu’on se figureun énorme chignon en forme de coque, agrémenté detire-bouchons et de nœuds à grand renfort de cosmétiqueset de pommades, affectant les formes les plus bizarres.On conçoit que ce ne serait pas faire acte de galanterieque de décoiffer une Chinoise. Quand elle se couche,elle place son chignon sur un petit banc évidé.

Ne demandez à la Chinoise aucun raffinement devolupté : elle en est incapable. Elle se couche, et vousaccepte passivement. Elle n’en sait pas davantage. Aubesoin, elle consentira à suivre l’Européen dans sa demeure, pourvu qu’en sus du prix tarifé de trois piastres,on lui offre le fiacre aller et retour, car ses petits piedsdéformés lui rendent la marche pénible. À ce propos, onprétend, et je crois l’avoir lu dans un récit de voyage,que la compression du pied de la Chinoise a pour butde développer le muscle constricteur de la vulve et duvagin. J’avoue que je n’ai que rarement rencontré cettespécialité vaginale. Elle dépend plutôt, à mon avis, del’état d’obésité de la femme, et il n’est pas besoin d’alleren Chine pour atteindre ce résultat. Toutes les femmes Européennes un peu fortes de corps, dont le bassin etles cuisses sont largement développés, même les vieillesprostituées, sont généralement plus étroites que lesfemmes maigres et petites. Brantôme avait déjà fait cetteremarque.

Maisons de prostitution de Cho-lon. — Si les maisons Chinoises de Saïgon sont à l’usage des Européens,en revanche, les établissements de ce genre, à Cho-lon,sont à peu près exclusivement réservés aux Chinois.Sous ce rapport-là, ceux-ci ressemblent beaucoup à certaines maisons de « société » en Europe. Il faut montrerpatte blanche pour y entrer, et vous n’y êtes admisqu’avec un Chinois familier de l’établissement.

Tout comme en France, il y a des salons luxueuxavec des divans, des canapés, des glaces, des tableauxpeints sur verre. Ces dames, richement vêtues, viennentvous rendre visite au salon. Il y a la même phrase sacramentelle :« Toutes ces dames au salon ! » en Chinois,bien entendu. On vous servira sur commande un plantureux repas à la Chinoise, dont la soupe aux nidsd’hirondelles, le tripang, la confiture de gingembre etde genseng forment la base, avec toutes sortes de platsfortement épicés. On entend les accords d’une musiqueChinoise, dont les exécutants sont placés dans une piècevoisine, pour ne pas gêner les amoureux ; ils jouent desairs mélancoliques et langoureux, qui ont, à ce qu’ilparaît, la propriété de donner aux Chinois des penséesérotiques. Ces dames s’humanisent ; elles prennent desposes plastiques pour émoustiller les sens des vieuxbanquiers Chinois, quand ils sont difficiles à émouvoir.Cependant elles ne sont guère plus expertes dans l’artde Vénus que leurs rivales de Saïgon.

Procédés des vieux débauchés Chinois. — Je n’aipoint vu ce que je vais décrire : je le tiens d’un ami Chinois, B***, le fermier général de l’opium, qui m’avaitplusieurs fois facilité l’entrée de ces maisons. Je ne pensepas qu’il ait voulu se jouer de ma crédulité, et voici cequ’il m’a raconté bien des fois :

Quand les sens des vieux Chinois sont trop blaséspour que les excitations naturelles aient le pouvoir detirer de leur torpeur leurs organes génitaux engourdis,ils ont recours au procédé suivant :

Le vieux Céladon se fait accompagner par un domestique ou robuste coolie, qui se livre en sa présence aucoït, puis se retire. En France, les spectateurs de cegenre d’opération sont généralement invisibles pourl’exécutant. À Cho-lon, on ne connaît pas de pareillesdélicatesses, et l’amateur assiste à la scène dont il suitavec intérêt toutes les phases. Une fois que l’agent s’estretiré, bien et dûment rémunéré, il ne reste plus enprésence que le vieux débauché et la femme, restée mollement étendue sur le champ de bataille. Alors notrehomme s’approche et, avide, recueille in bucca sua lalibation qui découle e vulva fœminœ.

Cet usage, paraît-il, est très répandu. Je n’ai pas l’intention de discuter ici l’étrangeté de ce caprice érotique :je constate un trait de mœurs.


Le lupanar Japonais. — Les lupanars Japonais sontsitués dans les mêmes rues que les lupanars Chinois,souvent même tout à côté. Mais la fille Japonaise neguette pas le client devant la porte. La maison est tranquille,et personne ne fait chapelle au balcon de lavéranda. Il n’y a même pas réception au rez-de-chaussée :il faut monter au premier étage, où l’on setrouve en dedans du balcon fermé par des stores ou desjalousies.

Caractères physiques de la Japonaise. — Elle estplus forte, plus massive que la Chinoise et l’Annamite,avec des extrémités moins fines ; les pieds ne sont jamaisdéformés et elle porte toujours des sandales ou babouches sans talon, à la mode des Turques ; la peau estplus blanche ; l’aspect général du corps est celui de laChinoise, mais le pubis n’est pas toujours épilé. Dans cecas, il est couvert d’un poil frisé noir peu fourni. Lesmuqueuses de la vulve et du vagin sont plus claires quechez la Chinoise et surtout que chez l’Annamite. Le tongénéral, rouge jaunâtre, est presque celui d’une Espagnole. Il en est de même pour la dimension des partiesgénitales, sensiblement plus développées que chezl’Annamite. Le sein est aussi plus arrondi.

La coiffure est moins compliquée que celle de la Chinoise et ressemble beaucoup à celle des Espagnoles. Lescheveux sont toujours relevés sur le front et tordus parderrière en un chignon traversé par un peigne en écaille.Mais, comme chez ses deux autres sœurs Asiatiques, lecheveu est aussi raide et dur que le crin de la queued’un cheval. La couleur en est d’un beau noir bleuâtre,sur lequel se détache admirablement une fleur rouge oublanche.

La Japonaise aime beaucoup la parfumerie Européenne et s’inonde d’ylang-ylang, d’eau de Cologne,etc., etc.

Elle se lave le corps à grande eau tous les jours et faitses ablutions avant et après le coït, tout comme uneprostituée Européenne. L’Annamite dédaigne ce soinhygiénique, car elle craint l’eau comme les chats.

Malgré son nez un peu épaté (moins toutefois quecelui de l’Annamite), la Japonaise fait un certain effetà côté de la Congaï, et même de la Chinoise. On peutdire d’elle que c’est une agréable laide. Elle est plus complaisante que la Chinoise pour ce qui concerne l’actegénital, mais elle n’a pas la lasciveté de la Congaï bienstylée par un Pha-lan-za expérimenté.

De toutes les femmes de l’Extrême-Orient, c’est laJaponaise qui se rapproche le plus, par l’ensemble de sesqualités physiques et morales, de la Française : elle esttrès gaie et se plaît beaucoup à causer et à rire avec ceuxqui peuvent comprendre son petit jargon international.Nous ne lui trouvons qu’un défaut : c’est de se farderabominablement avec du blanc de céruse et du vermillonChinois, de sorte qu’il est dangereux de baiser une Japonaise sur les joues, à la mode Européenne.

Du reste, la Japonaise, la Chinoise et l’Annamite,rameaux sortis d’une même souche, présentent toutes cecaractère commun, de ne pas appliquer le baiser avec labouche, mais avec le nez, en reniflant.

Si le Lecteur est curieux de connaître les tarifs de cesprêtresses de Vénus, nous lui dirons qu’elles sont lesplus chères de toutes. Elles demandent deux piastres pourune heure de flirtation intime, et six piastres pour unenuit entière, tandis qu’à ce dernier taux on aurait unedemi-douzaine des pauvres filles du bambou Annamite.Celles-ci n’osent jamais se montrer en plein jour, horsdu lupanar, tandis que la Japonaise, suivie d’une camarade, prend souvent un zidore (voiture découverte) etva faire une petite promenade. On la rencontre souventdevant la cage des tigres ou à la cahute de l’orang-outang,au Jardin Botanique.


La belle de jour Annamite. — Celle-ci est le véritable fléau de l’Européen célibataire. Elle s’introduit chezvous entre midi et une heure. Les officiers ou fonctionnaires qui rentrent du mess ou du restaurant, rencontrentsur leur route, dans les rues un peu écartées du centre, des groupes de femmes stationnant devant la table durestaurateur ambulant, ou assises à l’ombre d’un arbre.Il n’est pas nécessaire de se mettre en frais de conversation avec elle ; un geste, un signe, un coup d’œil suffit,et vous avez beau passer rapidement en voiture, vous netarderez pas à être suivi jusqu’à domicile.

La femme qui opère en ville sort généralement dubambou, et, tout comme la marmite de Belleville, elle estexploitée par un souteneur qui la protège contre lesagents de police. Ceux-ci sont indigènes, car à ces heureschaudes de la journée, il y aurait du danger pour unagent Français à circuler dans la rue ; et ils se laissentfacilement gagner par un petit cadeau. Ils ferment lesyeux.

Une fois chez vous, la belle de jour se targue de sesconnaissances en matière érotique : « Moi bon putain, moi bocou conaîte Pha-lan-za. » Elle n’est pas froissée quel’Européen, rebuté par son horrible odeur, lui propose laSodomie. Elle va même au devant de l’offre, et si celan’agrée point encore, d’horizontale elle se transforme enagenouillée ; il n’est point de pratiques obscènes qu’onne puisse en obtenir. C’est une simple question de tarif.C’est même par là qu’elle débute en vous indiquant àl’avance le prix qu’elle demande pour tel ou tel genre devolupté.

Plaignons sincèrement le malheureux qui, se fiantà l’exhibition d’une carte de visite médicale (empruntée le plus souvent à une femme du bambou), sacrifieà la Vénus naturelle. Si ce n’est la syphilis, tout aumoins la gonorrhée lui apprendra que les roses blanchesAnnamites ont des épines.

Une fois qu’elle sera venue chez vous, la belle de jourcherchera à y revenir, et vous aurez beau la consigner àla porte, elle trouvera moyen de dépister les boys et ordonnances. Si un jour, après un bon déjeuner, vousêtes plongé dans une profonde sieste, vous n’entendrezpas les pas furtifs de la belle au pied léger. Elle a remarqué le clou où vous accrochez votre montre, le tiroirdans lequel vous mettez votre porte-monnaie. Le toutest enlevé prestement et vous ne revoyez jamais votremontre en or, vendue le jour même, à vil prix, à l’orfèvre-bijoutier Chinois, qui donne en échange une paire demauvaises boucles d’oreilles.

La maîtresse Annamite de l’Européen. — On conçoitque l’Européen, dégoûté du bambou et des belles de jour,soit désireux d’avoir une femme pour son usage personnel. S’il aime les primeurs, il pourra acheter à sesparents, pour une vingtaine de piastres, une petite fillede quinze à seize ans, prise parmi celles dont le sortaurait été généralement d’échouer au bambou.

Il aura le désagrément d’avoir à former une petitecréature ne sachant rien. Il a, il est vrai, l’illusion deposséder une vierge, mais nous savons que cet article estrare sur la place. Les frères et cousins ont passé par là.Et puis il y a toutes sortes d’ennuis, surtout quand onest dans l’intérieur. Outre la dot à donner aux parents, ily a, ce qui est plus sérieux, le trousseau complet àfournir à la mariée, car on vous la livre à peine couverte d’une mauvaise chemise sale en coton jadis blanc.

Si vous êtes officier ou fonctionnaire, un ông-quan,votre femme doit porter le costume assorti à votre rang,et il faut acheter le costume complet d’une femme aisée,qui comporte des chemises blanches, bleues, noires, ensoie, des pantalons bleus, rouges ou verts, un vaste chapeau rond avec sa jugulaire en soie et des souliers Chinois vernis. Coût : trente piastres. Ce n’est pas tout. Ilfaut deux bracelets, un en or et un en argent, deux boutonsd’oreilles en or, un collier en argent et un en ambre, un bracelet de jambe en argent et une bague en or. Coût :de cent vingt à cent trente piastres. C’est donc, au basmot, une somme de cent cinquante piastres d’achats, et,avec la dot et les dépenses de la noce, on atteint vite lechiffre de deux cents piastres, soit mille francs. Or, onfait toutes ces dépenses pour ne posséder qu’une pseudo-pucelle,et une sorte de petite niaise qui n’est bonne qu’àmanger, boire et dormir, en attendant qu’elle se laissevoler et dépouiller de tout, la première fois qu’elle iraau baquan.

Les gens bien avisés préfèrent prendre la successiond’un ami ou collègue qui quitte la colonie. Ils ont ainsiune femme dressée, nippée et comprenant un peu leFrançais. Mais, que vous la preniez novice ou formée,vous n’avez jamais qu’une épouse dont la fidélité est enrapport avec sa moralité. Elle feindra la vertu vis-à-visde vos amis et connaissances Européens. Elle viendramême faire, auprès de vous, étalage des refus qu’elle afait essuyer à ceux qui ont tenté de la séduire. Mais ellese dédommage amplement avec les Annamites malins,toujours prêts à rire aux dépens du Pha-lan-za. Un beaujour, le fonctionnaire ou l’officier qui croit posséder uneperle de vertu, et qui n’est pas au courant de la conduitede sa maîtresse, recueille les fruits amers des complaisances qu’elle a pour les autres.

Le boy garde du corps. — Le seul moyen, pour unEuropéen, d’empêcher sa maîtresse Annamite de couriravec le premier galant venu, consiste à lui donner commegarde du corps son propre boy Annamite. Celui-ci jouele rôle du chien du jardinier et fait bonne sentinelle ;mais, mieux avisé que le chien, il prend sa part, ce quiforme un ménage à trois.

J’avoue que ce moyen manque de moralité, mais c’estle seul qui donne quelque sécurité au point de vue des maladies vénériennes, car il est facile de contrôler lasanté du boy : de plus, tout en écartant jalousement lesautres concurrents, il travaille pour le compte de sonmaître. On peut donc appeler ce procédé la précaution utile.