Contes et légendes annamites/Légendes/075 Les cinq jumeaux

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 185-186).


LXXV

LES CINQ JUMEAUX.



Un homme avait épousé cent femmes, mais, à elles toutes, elles ne lui donnèrent qu’une fille. Quand cet homme fut près de mourir, il recommanda à sa fille de prendre cent amants afin d’acquitter la dette paternelle.

La fille obéit à son père, et elle avait déjà eu quatre-vingt-dix-neuf amants quand un génie céleste prit la forme d’un lépreux et vint à la maison de cette femme demander l’hospitalité. On le laissa coucher sous un appentis. Pendant la nuit la maîtresse de la maison pensa qu’elle pouvait en faire son centième amant, elle alla donc se coucher auprès de lui.

Le lépreux lui mit la main sur le ventre, elle devint enceinte et accoucha de cinq garçons. Les jumeaux se ressemblaient tous, mais l’un avait le corps de bronze et le foie de fer, le second avait une intelligence vive, le troisième entendait tout ce qui se disait[1], le quatrième était pied bot et pouvait marcher sur l’eau, le cinquième ne craignait pas la chaleur et pouvait vivre dans l’eau bouillante.

Ces cinq garçons demeuraient dans la forêt. Un jour le roi annonça par une proclamation qu’il donnerait sa fille à qui tuerait la bà Chân. Le frère à l’oreille fine envoya le frère au corps de fer et celui qui était à l’épreuve de l’eau bouillante combattre la bà Chân. Celle-ci ne put les faire périr, ils la décapitèrent et portèrent sa tête au roi. Quand on la jeta devant son trône elle s’enfonça dans le sol.

Le roi dit au vainqueur de revenir le lendemain et qu’il lui donnerait sa fille. Il avait l’intention de le faire décapiter, mais ce fut le frère au corps de fer qui se présenta devant lui et le roi ne put venir à bout de le faire décapiter. Il lui ordonna donc de s’en retourner et de revenir le lendemain.

Puisque le fer n’avait pas de pouvoir, le roi voulut faire jeter dans la mer le vainqueur de la bà Chan. Mais le frère à l’oreille fine fut instruit de son dessein et lui envoya le pied bot. On le mit en mer sur un radeau, mais il revint sans peine et fut renvoyé au lendemain comme l’avait été son frère.

Le roi décida, puisque ces deux moyens avaient échoué, de faire jeter l’homme dans l’eau bouillante. Le frère a l’oreille fine envoya ce jour-là celui de ses frères qui était à l’épreuve du froid et du chaud et les mauvais desseins du roi furent encore déjoués.

Voyant que tout était inutile, le roi se résigna à donner sa fille comme il l’avait promis. Le frère à l’oreille fine l’entendit en parler, aussi ce jour-là se présenta-t-il lui-même et il épousa la princesse.



  1. Le second et le troisième frère ne sont pas très distincts l’un de l’autre, et, de fait, le second ne joue aucun rôle dans l’histoire.