Contes d’une vieille fille à ses neveux/M. de Philomèle


M. DE PHILOMÈLE.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE TROISIÈME.

VANITÉ D’ESPRIT.


Dans le même temps vivait un rossignol célèbre, qui, sansêtre aussi riche que notre âne, jouissait d’une aimable médiocrité. Son nid était confortable, situé dans une belle forêtfréquentée par un grand nombre de ses confrères ; en somme,il n’avait pas à se plaindre du sort.

Mais ce rossignol était d’une vanité sordide, si j’ose m’exprimer ainsi ; il aurait voulu accaparer toutes les louanges. Sil’on vantait un de ses collègues, on l’offensait, on lui déchiraitle cœur : tout éloge donné à autrui lui semblait un vol qu’onlui faisait ; si vous aviez le malheur d’écouter avec plaisir sonvoisin, il vous haïssait pour la vie ; il détestait aussi le voisin,et le poursuivait de sa vengeance, lui, sa femme et ses enfants.Ce rossignol était réellement insociable ; il ne se plaisait nullepart, boudait tout le monde, et prouvait que le talent n’est riensans un doux caractère.

— Je suis bien sot, se dit-il un jour, de vivre dans cetteforêt ; je n’y produis point d’effet, et cela est tout simple : il ya ici cent rossignols qui chantent aussi bien que moi ; on nebrille point avec tant de rivaux. Changeons de société : voyonsdes gens sans talent ; voyons des poules, par exemple ; leurchant ne fera pas de tort au mien ; la voix du coq est sonore,il est vrai, mais elle ne sait point moduler ; les pigeons saventpeu de musique. Je ne crains personne dans ce monde-là ;allons-y.

Il dit, et s’envola vers le grand pigeonnier d’une ferme situéeà quelques lieues. Les poules étaient rentrées avant la nuit ; cesdames avaient craint l’air frais du soir : il les trouva toutesréunies dans le même salon. Elles l’accueillirent avec bienveillance,avec politesse, mais sans empressement.

— On ne sait pas encore qui je suis, pensa-t-il ; mais demainj’enverrai ma carte à la maîtresse de la maison, et je vois d’icison étonnement, sa joie, quand elle apprendra mon nom :comme elle sera confuse d’avoir traité si légèrement la plusgrande célébrité du siècle !

Le lendemain, il fit remettre chez les honorables poules quil’avaient reçu la veille la carte sur laquelle était gravé son nom :

M. DE PHILOMÈLE,
Rossignol.

Il avait ajouté au crayon ce dernier mot, rossignol, dans lacrainte d’être confondu avec quelque autre oiseau ; ce qui étaitpeu probable, car le nom de Philomèle est fort connu.

Il resta deux jours sans essayer de nouvelles visites, afin dene point paraître trop empressé et de n’avoir pas l’air d’unhomme qui ne sait où passer la soirée.

Il attendait aussi quelques politesses de la part du maître dela maison ; mais le coq garda son rang, et le nom de M. de Philomèle ne produisit sur lui aucune impression.

Cependant, le troisième jour, maître rossignol fit sa toilette,se becqueta, secoua ses ailes, mit son gilet marron, ses gantsblancs, et se rendit chez la respectable poule qu’il avait leprojet de séduire. Or séduire, pour lui, voulait dire se faireadmirer ; peu lui importait que la femme qui le vantait fûtjeune ou vieille, belle ou laide : pour les vrais amateursd’éloges, la flatterie n’a point d’âge ; l’encens a le même parfum,quelle que soit la main qui le brûle.


CHAPITRE QUATRIÈME.

SOUFFRANCES D’AMOUR-PROPRE


En entrant dans, le salon, M. de PhiloméLe s’attendait à unesorte d’empressement, de trouble, causé par sa présence. —Toutes les jeunes filles vont me regarder, se disait-il ; ellesvoudront inspirer le poëte fameux, l’attacher à leur char capricieux,le faire languir pour qu’il chante ses peines… — Maisil fut très-surpris de voir qu’elles ne faisaient aucune attentionà lui ; elles restaient dans un coin du salon à ricaner ensemblecomme des pensionnaires, et s’inquiétaient fort peu du poëtecélèbre qui devait les immortaliser.

L’une d’elles, seulement, dit tout bas à ses compagnes : —Mesdemoiselles, regardez donc ce monsieur, comme il estpetit.

Toutes alors se mirent à rire, et puis il n’en fut plus question.

— Ce sont de petites sottes, dit en lui-même le rossignolmécontent ; elles ne lisent rien, nos vers leur sont inconnus :je comprends leur indifférence.

En disant cela, il s’approcha des femmes mariées et desmères de famille, qui causaient entre elles ; il les trouva très-aimables. Elles lui demandèrent combien de temps il comptaithabiter le pays, s’il s’y plaisait un peu, s’il se proposait d’yrevenir ; mais de ses talents, elles ne dirent pas un mot ; deses vers, pas un éloge, pas même un éloge détourné : il l’aurait si vite compris, le pauvre poëte !

— Ce sont de grosses mères de famille tout à leurs enfants,pensa-t-il ; elles ne lisent rien non plus. Voyons les hommes.

Les hommes se composaient d’un coq, de douze pigeons,de sept oies et de huit canards.

Il alla vers le coq et le salua. C’était un gros insolent qui,en parlant, faisait beaucoup de bruit ; il était occupé à causerpolitique, et paraissait fort irrité qu’on l’eût choisi pour représentant,pour emblème d’un parti, sans le consulter. — J’aitoujours été du parti de la guerre, disait-il…

Le Rossignol n’en écouta pas davantage ; il détestait les discussions politiques.

Il s’approcha des pigeons : il pensa qu’on pourrait leurparler musique et poésie, s’imaginant que ces oiseaux sitendres devaient aimer les beaux-arts… Il se trompait.

— Les beaux-arts ! dit un pigeon fort pédant, ils ne serventqu’à énerver l’âme.

— Ils sont bons pour les femmes, reprit un canard avecdédain.

— Pour les vôtres, peut-être, ajouta le pigeon pédant, quiétait marié depuis de longues années ; mais les colombes sontdéjà bien assez sensibles, elles n’ont pas besoin d’être encoreexaltées par les arts.

La maîtresse de la maison, qui entendait cette conversation,pensa que si le rossignol paraissait aimer les beaux-arts, c’estqu’il possédait quelques talents.

— Vous êtes musicien ? lui dit-elle avec politesse.

— Un peu, madame, répondit le rossignol en faisant lemodeste : nous autres poëtes, mous adorons tous la musique.

— Ah ! vous êtes aussi poëte ?

Cette question charma le rossignol ; il se croyait dédaigné,et ce fut une consolation pour lui de voir qu’il n’était qu’inconnu.

— Vous seriez bien aimable de nous déclamer quelque chose, s’écria alors une grosse femme qui avait amené sesneuf filles.

Le rossignol se fit prier le temps convenable, puis il se mità chanter avec d’autant plus de voix qu’il s’était longtempsreposé.

Il chanta à merveille, mais on l’écouta froidement.

— Petite musique ! dit tout bas un pigeon à son confrère.

— Voix de fausset ! dit un canard à son ami.

Quant au grand coq, il ne l’écouta pas du tout. Sitôt qu’oneut demandé des vers à M. de Philomèle, il pensa qu’on lui endemanderait aussi ; et, dès lors, il repassa tout son répertoiredans sa tête. Plus moyen de ramener son attention.

Cependant la maîtresse de la maison, qui avait du tact etune grande habitude du monde, s’épuisait en éloges arrangés, en phrases bienveillantes. — Vous devez être bien fatigué,disait-elle. Voulez-vous boire quelque chose ? Que votre voixest légère, qu’elle est flexible ! Que d’études il fous a fallufaire pour parvenir à chanter ainsi !

Elle avait beau le vanter, le rossignol voyait bien qu’il n’étaitpas compris : on flattait ses prétentions, mais on ne sentait passon talent. On lui disait : « Votre voix est légère, » parce qu’ilfaisait des roulades et que cela faisait croire qu’il prétendait àla légèreté ; mais on ne s’inquiétait pas si ces roulades étaientbien ou mal faites. Et, d’ailleurs, dire à un rossignol : « Vousdevez être bien fatigué ! » lui dont le métier est de chanter desnuits entières ! cela était révoltant, en vérité.

Tant que nul rival ne se mit sur les rangs, le poëte supportason humiliation. Si une personne ne nous aime point, nousdisons : Elle est froide ; mais si elle en aime un autre, nouscrions à l’injustice. C’est ce que fit notre poëte quand le grandcoq se mit à chanter ; sa voix glapissante retentit dans toute lacour, et ce fut un concert d’applaudissements : « Quelle méthode admirable ! quels beaux sons ! il est impossible de mieuxchanter ! » Quant à ses vers, on les trouvait excellents.

Le rossignol n’y pouvait plus tenir : cette voix fausse luifaisait grincer les dents, ces éloges le révoltaient ; il était ausupplice, et profitant du moment où tout le monde entouraitson rival pour le complimenter, il prit sa canne et son chapeau,et s’envola désespéré.


CHAPITRE CINQUIÈME

RENCONTRE SINGULIÈRE.


Il voyagea quelques jours, indécis, ne sachant dans quelasile se réfugier ; la soif qu’il avait de briller lui faisait fuir seségaux, ceux qui avaient autant de talent que lui ; le désespoirde n’être point compris lui faisait fuir ses inférieurs. Il ne savaitplus que devenir.

Triste et mécontent, il alla se percher sur un arbre qui ombrageait un pavillon élégant ; là il resta plusieurs heures àméditer sur les vicissitudes de la vie.

Sous cet arbre se reposait un philosophe qu’une sympathique mélancolie y attirait. Ce philosophe était notre âne.Étendu sur l’herbe fleurie, il pensait… hélas ! — Jadis, il eûtbrouté ; mais ses illusions étaient passées.

Tous les deux, âne et rossignol, éprouvaient même tristesse,même ennui, même découragement ; je croirais volontiersqu’ils eussent tous deux envisagé le suicide sans horreur, tantleur spleen était profond.

Tandis qu’ils gémissaient ainsi, vint à passer un enfant suivid’une belle jeune fille.

— Ma sœur, s’écria-t-il en rougissant de plaisir, un âne !…Et au même instant il courut vers le philosophe et lui fitmille gentilles caresses.

— Il n’a point de maître, dit l’enfant ; si nous l’emmenions ?Peut-être il s’est perdu. Il a l’air malade ! nous le soignerons.Oh ! je serais si heureux d’avoir un âne à moi !

— Emmenons-le, dit la jeune fille ; si son maître vient leréclamer, nous le lui rendrons.

L’enfant, tout joyeux, prit l’âne par la bride, lui baisa lesoreilles tendrement, ces longues oreilles objet de dérision et demépris, sauta sur son dos et s’éloigna, tout fier de sa conquête.

À peine avait-il fait quelques pas, que le rossignol, jalouxdes succès qu’obtenait un âne, fit entendre sa douce voix.

— Mon frère, s’écria la jeune fille à son tour, un rossignol !…

Et elle aussi rougit de plaisir, peut-être même de souvenir.

Elle revint auprès de l’arbre, et le rossignol descendit debranche en branche jusqu’à elle.

— Il a une patte blessée, dit-elle avec compassion ; il nepourra fuir, les éperviers le mangeront. Je vais l’emporter, jele mettrai dans une volière et j’en aurai bien soin. L’entends-tu,mon frère ? quelle voix délicieuse !

L’enfant, tout à son âne, n’écoutait pas ; rien pour lui nevalait un âne. Que lui importaient les beaux chants du rossignol !le moindre galop valait mieux pour lui que toutes les rouladesde Philomèle, et les rossignols ne galopent pas.

La jeune fille, d’une main tremblante, s’empara du rossignol,qui ne fit aucune résistance ; elle se hâta de rejoindreson frère, et tous deux cheminèrent joyeusement en se félicitant de leur journée.

— Quelle bonne idée, disait l’enfant, nous avons eue devenir nous promener de ce côté ! Toi, qui aimes tant les rossignols,tu en trouves un ; et moi, j’ai un âne que je désiraisdepuis si longtemps… Oh ! que je voudrais donc être arrivé àla maison pour dire à maman que j’ai un âne !

Les deux captifs ne paraissaient pas moins satisfaits de leuraventure : l’âne était si heureux d’être caressé, qu’il ne se sentait plus du tout triste ni malade ; le rossignol était si fier ducas que l’on faisait de lui, qu’il se passionnait pour sa jeunemaîtresse et jurait de ne jamais la quitter.

Ils arrivèrent au château ; on les y installa tous deux, et ilss’y trouvèrent si bien, qu’ils y passèrent le reste de leurs jours,aimé, soigné (ceci est pour l’âne) ; écouté, fêté (ceci est pourle rossignol).

Après bien des ennuis, des dégoûts, des tourments, ils avaientenfin trouvé le bonheur ; chacun d’eux avait rencontré la sociétéqui lui convenait : car pour être heureux, mes enfants, il fautvivre avec les bonnes gens qui nous aiment et à qui nous sommesutiles, ou avec les gens supérieurs, les gens d’esprit, quiapprécient notre talent.