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Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/L’Apôtre
L’APÔTRE
Paul, où vas-tu ? — Je vais sauver le monde.
Dieu nous donne une loi d’amour.
— Apôtre, la sueur t’inonde ;
En festins ici passe un jour.
— Non, non ; je vais sauver le monde.
Dieu nous donne une loi d’amour.
Paul, où vas-tu ? — Je vais prêcher aux hommes
Paix, justice et fraternité.
— Pour en jouir, reste où nous sommes,
Entre l’étude et la beauté.
— Non, non ; je vais prêcher aux hommes
Paix, justice et fraternité.
Paul, où vas-tu ? — Je vais à l’âme humaine
Du ciel enseigner le chemin.
— Aux cieux ? La gloire seule y mène.
Chante, elle te tendra la main.
— Non, non ; je vais à l’âme humaine
Du ciel enseigner le chemin.
Paul, où vas-tu ? — Je vais rendre aux campagnes
Le Dieu qui bénit les guérets.
— Crains le brigand dans les montagnes ;
Crains le tigre dans les forêts.
— Non, non ; je vais rendre aux campagnes
Le Dieu qui bénit les guérets.
Paul, où vas-tu ? — Je vais au sein des villes
De tout vice purger les cœurs.
— Crains l’orgueil des passions viles ;
Crains le rire aux éclats moqueurs.
— Non, non ; je vais au sein des villes
De tout vice purger les cœurs.
Paul, où vas-tu ? — Je vais, séchant des larmes,
Dire au pauvre : Dieu seul est grand !
— Crains le riche si tu l’alarmes ;
Crains le pauvre s’il te comprend.
— Non, non ; je vais, séchant des larmes,
Dire au pauvre : Dieu seul est grand !
Paul, où vas-tu ? — Je vais de plage en plage
Raffermir mes amis tremblants.
— Quoi ! les maux, la fatigue et l’âge
N’ont point dompté tes cheveux blancs ?
— Non, non ; je vais de plage en plage
Raffermir mes amis tremblants.
Paul, où vas-tu ? — Je vais braver nos maîtres,
Fardeau des peuples gémissants.
— Tremble ! ils te livreront aux prêtres
En échange d’un peu d’encens.
— Non, non ; je vais braver nos maîtres,
Fardeau des peuples gémissants.
Paul, où vas-tu ? — Je vais prêcher mon culte
Devant le juge et ses licteurs.
— À nos lois déguise l’insulte ;
Recours à l’art des orateurs.
— Non, non ; je vais prêcher mon culte
Devant le juge et ses licteurs.
Paul, où vas-tu ? — Je vais porter ma tête
Sur l’échafaud où Dieu m’attend.
— Dis un mot, et ta grâce est prête ;
D’honneurs on te comble à l’instant.
— Non, non ; je vais porter ma tête
Sur l’échafaud où Dieu m’attend.
Paul, où vas-tu ? — Je vais avec les anges
Reposer au sein de mon Dieu.
— Par ton exemple tu nous changes.
Nous prierons sur ta tombe. Adieu !
— Oui, oui ; je vais avec les anges
Reposer au sein de mon Dieu.